Critique : La Vie selon Ann

Ann, tren­te­naire new-yor­kaise, livre sa ver­sion décom­plexée de la sou­mis­sion. Les ren­contres avec ses par­te­naires, ain­si que ses rela­tions pro­fes­sion­nelles, fami­liales et ami­cales, deviennent alors un savou­reux ter­rain de jeu.

La Vie selon Ann
Etats-Unis, 2023
De Joanna Arnow

Durée : 1h27

Sortie : 08/05/2024

Note :

LES PLAISIRS IMPOLIS

Ann est une femme invisible. Le genre de personne à être félicitée pour sa première année d’ancienneté dans une entreprise où elle travaille pourtant depuis trois ans, le genre à qui on repose souvent la même question tant sa première réponse était oubliable. D’où lui vient cette malédiction ? La réalisatrice américaine Joanna Arrow, qui interprète elle-même le rôle d’Ann, ne cherche précisément pas à l’expliquer. Elle nous dévoile au contraire son antihéroïne à travers une succession de scènes aussi brèves que le titre anglais d’origine (The Feeling That the Time for Something has passed, soit « le sentiment que le moment idéal pour quelque chose vient de passer« ) du film est long, des vignette sans contexte ou introduction, qui viennent la capter dans des moments d’humiliations quotidiennes. Le visage impassible face à la maladresse cruelle de ses collègues, parents ou amants, Ann a tout simplement l’air pathétique à souhait et c’est déjà très drôle.

Chaque case de ce catalogue de micro-agressions se termine par un blanc, comme pour laisser la place à un rire enregistré qui ne vient jamais. Cela donne à l’ensemble des airs de bande dessinée, de comic strip absurde et féroce quelque part entre un Todd Solondz mumblecore et un Roy Andersson lo-fi. Joanna Arrow pourrait se contenter de cet horizon comique, mais ce ne serait sans doute pas pousser le bouchon du malaise et de la bizarrerie assez loin. Elle intercale alors dans le quotidien d’Ann des scènes de jeux de rôle SM où elle est à nouveau dominée ou humiliée. Le gag étant que ces scènes un peu minables sont très loin d’une imagerie fétichiste de porno chic, et elle se retrouve à obéir à des ordres aussi absurdes et risibles que ceux qu’elle entend toute la journée au bureau (l’exploitation capitaliste comme la plus perverse des relations SM : cette passionnante piste aurait d’ailleurs pu être creusée encore plus).

Ann s’épanouit-elle dans ce système zinzin ? La encore, Arrow ferme à triple tour la porte à toute interprétation psychologique, une audace payante… mais à moitié seulement. Quand Ann rencontre enfin un garçon charmant qui la traite normalement, le film évite heureusement le piège de sauver son héroïne par un retour à la normale (la scène où elle lui confie connaitre par cœur les paroles de la comedie musicale Harry Potter est peut être la plus cuisante de toutes), mais que propose-t-il à la place? Produit par Sean Baker, La Vie selon Ann possède un moteur idéal pour tenir le rythme des scènes très courtes, mais qui peine à tenir le passage à un registre plus romantique. L’insondable Ann ne gagne pas beaucoup de nuances en cours de route, et il devient un peu frustrant de passer autant de temps aux cotés de quelqu’un qui se livre si peu. Comme dans une relation SM, nous voulons nous aussi plus de cruauté et de jeux méchants. S’il vous plait.

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par Gregory Coutaut

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