Festival des 3 Continents | Entretien avec Yoon Dan-Bi

La jeune Coréenne Yoon Dan-Bi est l’une des sensations de ces derniers mois. Avec son premier long métrage, Moving On, elle a été multi-primée, de Busan à Rotterdam en passant par le Festival des 3 Continents. Ce récit de retrouvailles familiales, profond, délicat et émouvant, révèle un grand talent à suivre. Moving On est rediffusé cette semaine aux 3 Continents dans le cadre de la reprise consacrée aux films primés lors de l’édition en ligne 2020. Yoon Dan-Bi est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Moving On ?

A l’origine j’étais intéressée par la famille, par le récit d’apprentissage. Ça m’a vite semblé évident de choisir le thème de la famille pour mon premier film. La première version du script était plus proche d’une comédie noire, avec une famille qui compte sur l’héritage du grand-père. Et puis à un moment je me suis demandé si j’avais vraiment envie de voir ce film, je n’avais pas de réponse. Je n’avais aucune idée de ce que le public aimerait voir. Plutôt que d’imaginer ce qui plairait au public, j’ai décidé de faire avant tout le film que je voulais voir. J’ai alors réécrit tout le scénario.

Le point de départ était simple : une famille se réunit autour du grand-père avant qu’il ne les quitte. Je me suis davantage concentrée sur la dimension sentimentale de l’histoire. Moving On raconte cette histoire de réunion familiale, et raconte aussi un moment qui ne reviendra jamais.

Moving On parle de manière à la fois subtile et profonde de ce que signifie la famille. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre processus d’écriture ?

Quand j’ai écrit le scénario, l’idée de la famille et de ce qu’elle signifie n’est pas ce que j’avais en tête en premier lieu. Mais j’ai beaucoup pensé à ma propre famille. Je me suis plongée dans mes souvenirs familiaux, ce que j’ai aimé, ce qui m’a déçue, ce que j’attendais désespérément d’eux à l’époque – ce qui me semble un peu immature maintenant.

Moving On est une fiction et ces personnages sont inventés. Mais je peux comprendre profondément chacun d’entre eux, et j’ai de l’empathie vis-à-vis d’eux et de leur comportement. Lors de l’écriture, je n’ai pas juste “construit” une histoire, j’ai essayé de comprendre les personnages. J’ai beaucoup d’amour pour tous les personnages du film, et pour moi c’est comme s’ils étaient tous vivants.

Comment avez-vous abordé le traitement visuel de cette histoire en particulier ?

En ce qui concerne le style visuel, j’ai beaucoup discuté avec notre directeur de la photographie Kim Gi-Hyeon. Plutôt que de faire un storyboard ou de discuter du tournage de chaque scène, on a passé beaucoup de temps à établir le ton général du film. Après avoir trouvé la maison, qui constitue le décor principal du film, nous l’avons visitée plusieurs fois pour anticiper le tournage, penser aux mouvements des personnages. Il y a beaucoup de plans d’ensemble fixes dans le film. Il y a plein de raisons qui le justifient mais la principale, c’était que je voulais voir les acteurs jouer naturellement, sans se soucier de la continuité ou des mouvements de caméra.

Nous avons aussi passé beaucoup de temps lors du tournage sur la façon dont nous pouvions faire ressentir la texture de cette maison en bois, et ce sentiment particulier de lumière d’été. Pour cette même raison, après le tournage, nous avons passé deux mois à travailler sur les couleurs du film. La manière de montrer la maison était aussi une question importante. Quand on voit les films de Yasujiro Ozu, ça n’est pas évident de visualiser la structure entière des maisons. Et moi c’est quelque chose qui m’intéressait vraiment : en montrant précisément la maison et comment elle est faite, je pensais que le public ressentirait une forme de cohérence et de continuité, qu’il pourrait davantage se concentrer sur l’histoire et se rappeler de sa propre expérience.

Je ne me suis pas seulement penchée sur les mouvements des personnages, mais aussi sur leur lien avec la maison, le voisinage – cela formait un tout. Par exemple, lorsque la tante et le père boivent une bière en face du supermarché, j’ai décidé d’inclure la façade de la maison dans le même cadre. Lorsque Dongju appelle le grand-père par la fenêtre, la maison est reliée au jardin. Relier le jardin au salon, le salon aux escaliers, permettait de rendre l’espace vivant.

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Edward Yang et Yasujiro Ozu. Quand je regarde leurs films, c’est comme si je vivais la vie de leurs personnages. C’est grâce à Yasujiro Ozu que j’ai commencé à faire du cinéma, et si je fais les films que je fais, c’est grâce à Edward Yang.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Nous avons célébré le centenaire du cinéma coréen l’an passé. Je voulais vous citer Burying Old Alive de Kim Ki-Young, qu’il a réalisé en 1963. C’est l’un des films importants de Kim, avec d’autres comme The Housemaid qui est souvent cité en référence, encore récemment par Bong Joon-Ho. Il a été restauré en 4K et a été montré au public en juin 2019. Même s’il manque environ 25 minutes d’images qui ont été détruites, il reste le son et c’est suffisant pour saisir l’idée de Kim, son point de vue à la fois étrange et unique.

Je pense que c’est important d’avoir des films qui montrent la réalité, mais même si les films de Kim ne sont pas pensés pour être réalistes, ils ont en eux quelque chose qui happe le public. On est emporté dans son monde de cinéma. Ses films éveillent en moi beaucoup de questions sur la cinégénie des personnages et sur la façon dont on devrait raconter des histoires.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 21 avril 2020. Un grand merci à Jin Park.

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