La Roche-sur-Yon 2019 | Critique : Clemency

Les années passées près du quartier des condamnés à morts n’ont pas été sans conséquences pour Bernadine Williams, directrice de prison. Alors que l’exécution d’un nouveau détenu se prépare, Bernadine doit faire face à ses démons et va être confrontée à l’homme qu’elle est condamnée à tuer.

Clemency
États-Unis, 2019
De Chinonye Chukwu

Durée : 1h53

Sortie : –

Note :

DOUTE

Second long métrage de l’Américaine Chinonye Chukwu, Clemency a remporté le Grand Prix au dernier Festival du cinéma indépendant de Sundance. Indépendant, Clemency l’est réellement et n’a pas peur d’être radical contrairement à bon nombre de films de Sundance qui ont une conception assez Calinours du cinéma indé. Chukwu, par exemple, ne cherche pas à rendre facilement aimable son héroïne qui dirige une prison où l’on applique la peine de mort ; elle est plus intéressée par sa complexité et son ambigüité, ses creux et ses bosses derrière son masque parfait.

Dès le début du long métrage, la réalisatrice parvient à installer une intensité dramatique qui ne passe ni le dialogue explicatif, ni par le renfort musical, mais par le découpage précis et la place qu’elle donne à son actrice. Clemency est un film qui documente sur la fonction de Bernardine, mais c’est avant tout l’atmosphère austère installée par Chukwu qui nous parle de ce qu’elle fait et de qui elle est. Le silence dans Clemency est parfois tellement épais qu’on a le sentiment de pouvoir le couper au couteau de cuisine. Voilà un travail de mise en scène qui ne saute pas aux yeux mais qui pourtant est absolument remarquable.

Bernadine, en fin de carrière, semble rattrapée par son travail. Elle n’occupe il est vrai pas une fonction qu’elle peut oublier en quittant son bureau. En apparence glacial, le film observe avec humanité ce qui est réprimé (chez elle, chez un prisonnier) dans un cadre qui exclut les sentiments et encore plus la sentimentalité. Une telle chose est-elle possible chez des êtres de chair et de sang ? Dans Clemency, on confie à un prisonnier son droit d’être vu et entendu. Qui voit et qui entend Bernadine ? Autorise t-elle qui que ce soit à la voir derrière le masque de ses fonctions ?

Chinonye Chukwu travaille beaucoup sur l’attente : celle endurée par les prisonniers bien sûr, celle expérimentée par Bernadine aussi, celle enfin dans laquelle les spectateurs sont placés. Chukwu laisse place à l’introspection plus qu’à la démonstration, de la même manière qu’une tempête souffle sous le crâne de son héroïne jusqu’ici impassible. Celle-ci est régulièrement isolée dans le cadre mais on ne voit qu’elle ; Alfre Woodard, visage familier du cinéma américain, trouve ici le rôle de sa vie et réussit des merveilles de subtilité dans ce rôle en retenue. Dans un monde où les Oscars ne seraient pas soumis au nombre de zéros alignés lors d’une campagne promotionnelle, Woodard pourrait déjà réserver son siège voire préparer son discours pour la statuette. Elle est une clef essentielle dans la réussite de ce drame intense et poignant qui a une très haute estime de ses spectateurs.

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par Nicolas Bardot

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