Entretien avec Meryem Benm’Barek

Comme promis la semaine passée à l’occasion de notre dossier sur les 10 jeunes réalisatrices à suivre, chaque lundi sur Le Polyester sera consacré à une découverte du cinéma d’auteur. Elle est aussi une réalisatrice à suivre : la Marocaine Meryem Benm’Barek signe avec Sofia un premier long métrage qui débute comme un thriller social avant de détourner les attentes. Le film raconte l’histoire d’une jeune femme qui se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage, et qui a 24 heures pour fournir les papiers du père de l’enfant. Primé au dernier Festival de Cannes, Sofia sort ce mercredi 5 septembre en France et nous vous le recommandons.

 

Quel a été le point de départ de Sofia ?

La base de Sofia vient d’un composite de plusieurs histoires de femmes que je connais ou dont j’ai entendu parler. Mais ce qu’il y a de proprement intime dans le film n’est pas tant lié au récit de mon film mais plutôt au cœur du sujet. Je suis issue d’une famille très représentative de ce Maroc à deux vitesses dont je parle. La fracture sociale ainsi que les rapports Nord/Sud sont des sujets qui me fascinent probablement parce que mon regard est empreint de mon parcours qui a toujours été à cheval entre le Maroc et l’Europe. Je m’interroge donc beaucoup sur le regard que l’Occident porte sur le monde arabe mais aussi la manière dont le Maroc observe l’Occident. Aussi, il me manquait une représentation plus réelle de la figure féminine dans le monde arabe. Dans les films qui souvent connaissent un succès en Occident, les femmes sont souvent représentée comme étant victimes d’un système de domination patriarcale. Je trouve cette vision dans un sens un peu naïve. Sofia était le moyen pour moi de proposer une réflexion sur la condition féminine et le patriarcat à travers le prisme de l’économie. On parle bien peu à mon sens du rôle que l’argent joue dans le statut des femmes au sein d’une société alors qu’il me semble que tout part de là.

Sofia débute comme le portrait d’une jeune fille, mais peu à peu le film parvient à faire le portrait d’une société entière. Était-ce votre intention initiale ?

Tout à fait. Sofia est conçu comme un portrait du Maroc contemporain. Le film tente d’interroger les rapports de pouvoir qui existent au sein de la société marocaine, que ce soit dans la famille qui joue un rôle prépondérant dans nos sociétés, ou encore dans les institutions, telles que la santé ou l’éducation. Pour parvenir à cette analyse sociologique sans ennuyer le spectateur, il fallait que je puisse le séduire par une première partie qui propose un élément déclencheur fort : la découverte de la grossesse de Sofia. Cette première partie offre toutes les recettes qui permettent aux spectateurs de se sentir portés par la narration d’un thriller social haletant. J’y saupoudre également des éléments un peu convenus, attendus pour le spectateur occidental afin de pouvoir l’installer confortablement dans ses chaussons. Au fur et à mesure que l’on avance dans l’histoire, l’idée était pour moi de déconstruire les clichés et proposer par conséquent une réflexion plus globale de ce qu’est la société marocaine de mon point de vue. Une société dont la fracture sociale est si béante qu’elle se transforme en rouleau-compresseur.

Le film devient de plus en plus ambigu quant aux décisions que prennent ces personnages vivant dans une société absurde. Comment trouve t-on le juste équilibre pour décrire de telles situations lors de l’écriture du scénario ?

Justement la difficulté était de trouver une sorte d’harmonie entre l’écriture quasi mathématique qu’impose le genre du thriller et l’ambiguïté dont vous parlez. D’un côté il fallait amener cette ambiguïté par les « non-dits », essayer d’éviter le didactisme ou les dialogues trop informatifs. Et d’un autre côté, il fallait garder toujours en tête la rigueur qu’impose l’écriture d’un thriller. Je dois avouer que ces deux choses se combinent difficilement mais je dirais que l’équilibre se trouve probablement dans l’intuition. Je crois donc que je me suis simplement laissé guider par mes personnages.

L’un des éléments qui rend le propos du film encore plus mordant est sa concision. Sofia a t-il toujours été pensé comme un film court ?

Ce n’était pas vraiment prémédité mais une fois que l’écriture avait démarré, je m’étais surtout donné une ligne de conduite quasi rigide. Je voulais un film sans gras, sans concession et qui allait droit vers son sujet. Je n’avais pas envie de me laisser piéger par la complaisance, surtout avec un tel sujet. Si une scène ne me paraissait pas utile pour faire avancer mon récit ou le parcours de mes personnages, je ne l’écrivais pas. Si je l’avais écrite et qu’elle ne me paraissait plus nécessaire, je la supprimais. En sens, il s’est avéré que le montage est très proche du scénario. Avec ma monteuse, Céline Perréard, nous n’avions pas eu à chercher le film au montage. Il était tout trouvé déjà à l’écriture ce qui était très rassurant pour moi.

Quelles questions vous êtes-vous posées pour raconter cette histoire en termes visuels ?

Exactement les même qu’avec l’écriture. Avec mon chef opérateur Son Doan, nous avions cherché le moyen le plus sobre et le plus concis de raconter cette histoire. Je cherchais la concision pas uniquement pour des raisons de production car le budget ne nous ne permettait pas de faire des folies, mais avant tout parce que mon film est construit comme une sorte de constat social. Il m’aurait presque semblé déplacé de proposer une mise en scène qui se serait voulue ostentatoire. Je me méfie beaucoup des effets stylistiques dans la mise en scène. J’essaie de toujours m’interroger quant aux liens entre la forme et le fond du film à chaque étape de la fabrication.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent au cinéma ?

J’étais tellement absorbée par l’écriture et la fabrication de Sofia que je dois avouer avoir eu malheureusement que très peu d’occasions d’aller au cinéma ces deux dernières années. J’ai beaucoup donc à rattraper. Mais si je dois citer un film qui m’a subjuguée par sa virtuosité ce serait Tesnota de Kantemir Balagov.

Entretien réalisé le 20 août 2018. Un grand merci à Robert Schlockoff.

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