Festival Black Movie | Entretien avec Wang Erzhuo

C’est l’un des bijoux de cette édition du Festival Black Movie. Couronné au Festival de Busan, Farewell, My Hometown raconte les histoires de trois femmes différentes en Chine. Wang Erzhuo fait preuve à la fois d’un talent très fin de narrateur et s’inscrit parmi les formalistes chinois les plus prometteurs. Nous avons rencontré le cinéaste.


Quel a été le point de départ de Farewell, My Hometown ?

Ce film est né de la vie de ma famille que je me suis mis à filmer. Je faisais des documentaires depuis un moment, puis j’ai tourné la caméra vers les miens. Ce sont des Chinois ordinaires, vivant leur vie de tous les jours en silence. J’ai constaté qu’ils avaient tous, quelque part en eux, une histoire émouvante et cachée. Ces histoires n’ont jamais été racontées. Je voulais laisser ces Chinois silencieux et ordinaires exprimer leur voix intérieure pour la première fois dans un film.



Il y a beaucoup de moments filmés à distance dans Farewell, My Hometown. Pourtant, on reste au plus près des personnages et de leurs émotions. Pouvez-vous nous en dire davantage concernant votre travail sur les échelles ?

J’aime particulièrement garder la caméra à distance du sujet. D’une part, je veux souligner l’importance de l’environnement dans le film, et d’autre part, je crois que cette « distance » nous aide à entrer dans le monde intérieur des personnages. Comme on dit dans la philosophie orientale ancienne, vous ne pouvez bien voir que si vous gardez vos distances. « Distance » et « proximité » existent simultanément dans mes films. Les monologues des personnages sont leurs voix intérieures, ils nous rapprochent d’eux, et nous font vivre leurs tourments, leurs émotions. A l’image, en revanche, nous sommes toujours éloignés des personnages, on observe leur vie de loin et avec une perspective inédite sur ce qu’ils nous disent. Ce montage entre le son et l’image, et la sensation cinématographique qui en résulte, c’est ce qui m’intéressait dans ce film.



Votre film est raconté de manière très poétique, gracieuse, il y a presque quelque chose de magique. Comment avez-vous abordé l’écriture et la construction des différents segments ?

Le scénario est basé sur plusieurs archétypes de personnages réels, avec qui j’ai passé beaucoup de temps et dont j’ai écouté les souvenirs. J’ai créé des scènes fictives et dramatiques basées sur leurs récits. Les personnages principaux des trois segments ont une chose en commun avec leurs récits, c’est qu’elles ont toutes mentionné des regrets et des soupirs concernant leur propre vie. Cela me rappelle beaucoup de gens autour de moi.

Les regrets et les difficultés de la vie de ces personnes sont étroitement liés, apportant un sentiment de tragédie et de beauté tchékhoviennes. Les trois personnages principaux des différentes sections du film, bien qu’elles vivent dans des endroits différents et aient des expériences de vie différentes, semblent ressentir les mêmes regrets, et ce sentiment de communion spirituelle relie tout le film.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

J’aime particulièrement les films de Yasujiro Ozu et de Hou Hsiao-hsien. Le monde oriental dans leurs films est beaucoup plus proche de ma vie et m’inspire de nombreuses émotions. J’aime aussi regarder les films de Chris Marker, qui ont une façon unique de présenter la réalité et m’apportent beaucoup d’inspiration.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

J’ai vu le film Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan il y a quelques années et j’ai été frappé. Comme je suis personnellement fasciné par l’Histoire et les cultures régionales, je suis également allé en Turquie. À mon sens, le film n’était pas seulement un chef-d’œuvre en termes de langage cinématographique et de raffinement, mais aussi en termes de littérature et ce qu’il a à dire sur l’ethnicité. C’est un véritable chef-d’œuvre.


Entretien réalisé le 25 janvier 2023 par Nicolas Bardot. Un grand merci à Pascal Knoerr.

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