Entretien avec Vladimir Duran

Repéré il y a quelques années à la Berlinale, Adios entusiasmo du Colombien Vladimir Duran sort enfin dans les salles françaises ce mercredi 15 mars. Ce curieux film est un portrait de la vie quotidienne d’une famille dont la mère… vit enfermée dans un placard. Rencontre avec un jeune cinéaste avide de mystère.


Quel a été le point de départ de ce drôle de récit ?

Je suis d’abord comédien. J’ai suivi une formation pendant plusieurs années dans une école de Buenos Aires où j’ai rencontré la plupart des actrices qui jouent dans mon film. C’est une école où l’on travaillait beaucoup l’improvisation, et je souhaitais écrire un scénario de huis-clos afin de donner précisément le plus de place possible à la liberté de mes acteurs. J’ai rencontré Sacha Amaral, le scénariste du film, dans un atelier littéraire auquel je participais. Il avait en tête cette histoire de mère enfermée, et cela avait d’ailleurs un lien avec son histoire personnelle. Il ne souhaitait pas en faire un film, mais il m’a proposé qu’on s’en serve pour écrive un long métrage ensemble, tout en sachant que le scénario serait ensuite déformé par les comédiens.



Les dialogues étaient-ils donc écrits ou improvisés ?

Cela dépend. Certaines scènes sont telles qu’elles ont été écrites, mais j’invitais les acteurs à se sentir libre. Quand les impros ne marchaient pas, on revenait à ce qui était écrit. En ce sens, notre scénario était à la fois une piste d’atterrissage et un point d’ancrage. Je travaille un peu à la façon de Pialat, je crois, avec des blocs dramatiques plus qu’un scenario.

Vous avez réuni beaucoup d’acteurs dans un lieu unique et exigu. Avez-vous chorégraphié en amont leur déplacements ?

Non, ils étaient également libres physiquement. Ça a l’air très chorégraphié mais c’était au chef opérateur de s’adapter aux comédiens. Je lui disais d’ailleurs que c’était eux la priorité, pas lui. Si un acteur se déplaçait dans un coin où la lumière était moins bonne, c’était à la lumière de changer. Quant à la table de dîner que l’on voit beaucoup à l’écran, elle se trouvait dans un couloir étroit. L’avantage, c’est que tout le monde était assis, mais le plus souvent, personne ne savait qui allait parler. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai choisi un cadre panoramique. Mais par ailleurs, je crois beaucoup au hors champ: quelque chose qui est dit hors champ peut avoir autant, voire même plus, de poids que ce qui apparait dans le cadre.



D’où vient ce curieux titre ?

La fille aînée est très amoureuse d’une personne que l’on ne voit jamais, mais cette personne lui répond qu’elle n’est plus intéressée, la phrase qu’elle emploie est « se me fue el entusiasmo » (mon enthousiasme a disparu, ndlr), ce qui était d’ailleurs le titre provisoire du film. Cette violente différence d’enthousiasme, c’est ce qui traverse le film entier. Il y a d’un côté cette mère qui reste virulente et intense mais qui n’a plus la force de sortir de chez elle, et de l’autre ces enfants qui ont l’envie débordante de vivre leur vie ailleurs que dans l’ombre de leur mère.



Même à la fin, vous ne donnez aucune explication au mystérieux enfermement de la mère. Cette situation se prête à beaucoup de lectures possibles (fantastique, politique, métaphorique, psychologique…) : avez-vous été surpris par les interprétations de certains spectateurs ?

Dans les débats, les spectateurs me demandent souvent d’expliquer une bonne fois pour toute sa situation. Au début, je donnais des indices, mais plus maintenant. Si je ne réponds pas à cette question dans le film, pourquoi le faire en interview ? A mes yeux, il était important d’éviter de donner toutes les clés trop vite. Quand je regarde un film et que dès le premier plan, le sujet est évident, je trouve ça dommage. Si on voit clairement l’intention de l’auteur, il n’y a aucun mystère, et ma propre intention n’est pas toujours claire pour moi !

Maintenant, quand on me pose la question, je réponds donc qu’il y a une raison à l’enfermement de la mère, mais que si on la nommait, cela deviendrait alors le sujet du film. Or je ne veut pas que mon film soit un film à sujet, pour moi c’est un film sur la vie de famille. Je voulais me focaliser sur les instants quelconques, montrer que la vie continue. Par ailleurs, je ne voulais pas inciter mes acteurs à penser en terme de registre, ni qu’ils se sentent esclaves d’une nécessité dramaturgique.

A Berlin, lors d’un débat suivant la projection du film, une jeune femme furieuse m’a accusé d’avoir enfermé l’actrice contre son gré. Mais l’actrice était au contraire très bien installée ! Quant au personnage de la mère, on ne peut même pas dire clairement si c’est contre son gré qu’elle est enfermée ! Mais je ne rejette aucune lecture. Plus on est ambigu, plus on est perméable à d’autres interprétations.

On m’a dit qu’il pouvait s’agir d’une métaphore sur le deuil, sur la mort. Je n’y avais pas pensé du tout, mais lors d’une scène, le jeune acteur qui joue le fils s’est mis à parler à une sculpture de sa mère comme si elle était morte. C’était sa décision d’acteur, c’est donc que ça lui a traversé spontanément l’esprit. Ce qui est étonnant, c’est qu’on a refait plusieurs prises, et il n’a jamais suivi cette piste à nouveau. C’est pourtant une lecture qu’on me renvoie souvent.


Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 24 novembre 2017. Un grand merci à Vanessa Fröchen et Florence Alexandre. Source portrait.

| Suivez Le Polyester sur TwitterFacebook et Instagram ! |

Partagez cet article