Festival Black Movie | Entretien avec Tobias Rud

Le jeune Danois Tobias Rud signe un ovni farfelu avec son court métrage I’ll Be Your Kettle. Cette farce à la fois non-sensique et existentielle raconte l’histoire d’une femme qui découvre que son compagnon a une attirance sexuelle pour les objets les plus quotidiens et improbables. Elle va alors tenter de tout faire pour être conforme à ses désirs… I’ll Be Your Kettle est à découvrir cette semaine au Festival Black Movie et nous avons rencontré son réalisateur.


Quel a été le point de départ de I’ll Be Your Kettle ?

Le film est né de mon intérêt pour ce concept un peu obscur : comment aimer quelque chose qui serait incapable de vous rendre cet amour, un objet par exemple ? Dans la première ébauche du film, le personnage principal était le garçon. Il essayait de construire une relation avec sa bouilloire, il luttait contre sa culpabilité à aimer des choses de manière totalement interchangeable. J’explorais aussi la façon dont cela pouvait affecter sa femme, qu’il aime aussi (en quelque sorte).

À partir de là, l’histoire a pris de nombreux tournants et j’ai finalement découvert que le cœur de celle-ci, pour moi, était en fait la réaction de la femme au désir ressenti par son compagnon vis-à-vis de la bouilloire. Que le film parlait de la volonté d’une personne de se changer jusqu’à devenir méconnaissable, afin d’être à la hauteur de ce qui, à ses yeux, peut être attendu d’elle : devenir ce que vous pensez être nécessaire pour recevoir de l’amour.



Comment avez-vous articulé le design relativement simple et naïf des personnages et le ton totalement absurde de votre histoire ?

Je pense que plus le ton de l’histoire est absurde, plus le design va aller naturellement vers une forme de naïveté, d’excentricité. Et plus le design semble naïf, moins les gens remettront en question la crédibilité de ce qui se passe. « Oh, c’est une bouilloire maintenant ? Bien sûr ! ». C’est aussi comme cela que je dessine, donc le style naïf n’est presque pas par choix (rires), mais je dirais que c’était aussi une décision consciente. Il faut donc juste que je fasse en sorte que le film ait un sens qui corresponde à mon style d’animation. Si je sens qu’une histoire a besoin d’un univers différent de ce que je suis capable de faire, je garderais cela pour une autre fois ou je demanderais à un autre artiste de la concevoir.

Mais avec ce film, je ne doutais pas que le style naïf fonctionnerait. Dans un univers différent, cependant, j’aurais aimé voir cela fait de manière très réaliste ou même en prise de vues réelles, car je crois que cela pourrait vraiment faire ressortir encore plus l’absurdité de l’histoire. Imaginez voir une actrice en chair et en os essayer d’aspirer le sol avec sa bouche. Je ne sais pas qui ferait ça pour un film sans budget, mais ce serait au moins un résultat intéressant.



Le son joue un rôle important dans l’atmosphère de I’ll Be Your Kettle. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Oui, je travaille généralement avec le son très tôt, et j’ai une banque sonore à la fois riche et brute. Avec cette base, je sais que je vais trouver le bon rythme au montage et que l’histoire me conviendra. Une grande partie de la comédie (et de la tragédie) dépend vraiment du son, il ne serait donc pas logique de simplement scénariser le film et d’ajouter le son et la musique à la fin. Personnellement, j’aime aussi beaucoup travailler avec le son, probablement plus que dessiner et animer, il est donc naturel de l’incorporer dès le début.

Mon concepteur sonore Anders Ankerstjerne a ensuite pris ma maquette brute et l’a transformée en un véritable travail de conception sonore une fois que les visuels ont été finalisés. Il travaille principalement en prise de vues réelles et je pense que cela a profité à l’histoire d’avoir un design sonore moins cartoon et assez réaliste, avec tous ces différents appareils. Ce film a une dimension physique qui est très tangible, car il se déroule dans un espace physique où il y a des interactions avec beaucoup d’objets ; donc refléter cet aspect dans le travail sonore était quelque chose que nous avions en tête.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Parmi les cinéastes plus établis, j’aime beaucoup Charlie Kaufman, Michel Gondry, Ruben Östlund et Miyazaki (bien sûr!). Parmi les noms plus indépendants dans l’animation, des gens comme Jonni Phillips, Joseph Bennet, Victoria Vincent, Nate Milton et Chintis Lundgren m’inspirent. Il y en a d’autres encore, mais la liste serait trop longue.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

La plupart des films s’appuient probablement sur d’autres films faits auparavant, mais j’ai eu un sentiment comme celui que vous décrivez en regardant Ghost dogs de Joe Cappa, ou FLUT de Malte Stein. Je voulais juste en finir de Charlie Kaufman est également différent des autres films selon moi. Avec Ghost Dogs, c’était spécial de voir ce genre de suspense, de rythme lent et d’être légitimement effrayé par une animation qui est fondamentalement un peu idiote, et FLUT c’était juste l’ambiance la plus étrange tout au long du film. Le long métrage de Kaufman ressemble lui à un voyage dissociant et inconfortable, je ne pense pas avoir vécu cela devant un autre film.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 19 janvier 2023. Un grand merci à Pascal Knoerr.

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