César 2025 | Entretien avec Théo Vincent

Présélectionné pour le César du meilleur court métrage, Mémoires du Bois est réalisé par le Français Théo Vincent. Le Bois en question est le Bois de Vincennes, exploré, observé et photographié par un jeune homme nommé Moussa. C’est le récit d’un deuil et d’un souvenir intime qui se déploie en une réflexion sur le colonialisme. Poétique et hanté, ce film a reçu le prix du meilleur court métrage décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Théo Vincent est notre invité de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Mémoires du bois ?

Il y a 4 ans, j’ai appris l’existence de vestiges des expositions coloniales au Bois de Vincennes dans sa partie Est : le Jardin d’Agronomie tropicale. Un lieu moins connu mais aussi moins entretenu que ce qu’on peut voir près de la Porte Dorée et du Musée de l’histoire de l’immigration. Cette découverte rejoignait un questionnement qui me travaillait depuis la fin de mes études d’anthropologie, sur la trace laissée par ceux qui vivent l’exil dans une ville comme Paris qui cherche à les invisibiliser. En l’occurrence, ces vestiges étaient les témoins d’une époque où il s’agissait de montrer « l’Autre » et non de le cacher. Le lieu racontait donc beaucoup de notre rapport collectif, conscient et inconscient, au fait colonial et à son évolution. Les différentes strates géographiques et temporelles qui le composaient donnaient envie de soulever ces questions par le cinéma.



Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez souhaité filmer le décor dans votre court métrage ?

Dès le début de l’écriture, il y avait l’idée qu’il fallait faire du Bois de Vincennes le personnage principal du film. Je voulais vraiment traiter la question de la mémoire d’un lieu, de sa manifestation présente et de son interaction avec les êtres qui l’habitent aujourd’hui. J’avais initialement en tête quelque chose d’assez choral traitant de plusieurs lignes de mémoire (comme celle de l’Université notamment) qui finissaient par se rejoindre. Mais les étapes d’écriture nous ont fait resserrer la narration sur la mémoire coloniale. C’est d’ailleurs dans ces étapes que le film est allé du documentaire vers la fiction. C’est certainement pour cela qu’il garde aujourd’hui un certain flou à cet endroit et que certains spectateurs y voient plus un documentaire qu’une fiction.



Il y a dans Mémoires du Bois une tension surnaturelle, pouvez-vous nous parler de cet outil pour raconter cette histoire-là ?

Effectivement le film effleure le surnaturel à plusieurs endroits. C’est un film de fantômes d’une part et d’autre part il y avait cette idée dans les expositions coloniales de montrer des sociétés animistes pour mieux glorifier un Occident séculier et éclairé. Je voulais donc ramener dans le Bois cette mémoire qui est intimement liée à ces passages et qui sommeille encore dans son obscurité.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Un des cinéastes que j’aime le plus et qui a beaucoup inspiré le film est Apichatpong Weerasethakul notamment parce que la vision animiste qu’il nous donne du monde me touche profondément. Il me semblait particulièrement à propos de convoquer son cinéma par son rapport à l’invisible. Avec le chef opérateur, Léo Roussel, on s’est aussi inspiré de Pedro Costa et à sa manière d’amener la lumière dans l’obscurité.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent au cinéma ?

C’est quelque chose qui m’arrive finalement assez souvent. Les cinéastes talentueux et talentueuses ne manquent pas aujourd’hui. Je n’ai pas tout vu cette année mais je crois que le film Here de Bas Devos, que je ne connaissais pas, a vraiment été ma plus belle découverte de 2024. Sa mise en scène paraît simple mais elle est extrêmement précise et minutieuse. Énormément de choses passent dans ce film…notre rapport au territoire, à la manière de l’habiter. C’est un film qui parle du monde mais à partir d’un endroit précis. C’est quelque chose qui me touche et qui m’intéresse. Les films de Virgil Vernier (Cent mille milliards) et Anaïs Tellenne (L’Homme d’argile) m’ont aussi vraiment enthousiasmé, même si je connaissais déjà le travail du premier.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 17 janvier 2025.

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