TIFF 2019 | Entretien avec Simon Jaquemet

C’est l’une des plus déroutantes surprises de l’année ciné. The Innocent du Suisse Simon Jaquemet raconte l’histoire d’une femme, chercheuse en laboratoire et mère de famille, qui va voir sa vie volet en éclats. D’apparence glacé et clinique, le film est pourtant porté par une tension mystique et un riche imaginaire. Il a fait sa première française cet automne à l’excellent Festival de la Roche-sur-Yon et est diffusé cette semaine au Transilvania Film Festival. Entretien avec son réalisateur…

  

Quel a été le point de départ de The Innocent ?

En fait l’idée initiale est assez ancienne. Il y a probablement dix ans, j’ai vu un reportage télévisé sur une femme dont le fiancé a été condamné à la prison à vie alors qu’il clamait son innocence et que les preuves étaient bancales. L’image de cette femme et la question de savoir ce qui a pu lui arriver ensuite sont restées en moi et j’ai écrit une histoire courte à son sujet. Celle-ci s’appelait déjà The Innocent. Je n’ai plus touché à cette histoire pendant des années mais ce personnage a continué à m’accompagner. Puis j’ai réalisé que l’histoire initiale avait déjà beaucoup à voir avec l’idée de croyance.

Cette femme, confrontée à une question insoluble (son amant était-il un meurtrier ou non ?), a été amenée à croire. Et elle a choisi de croire en son innocence. Choisir le thème de la croyance et situer l’histoire dans une communauté de chrétiens radicaux ont ouvert une nouvelle dimension vers un thème qui m’intéresse depuis longtemps. Je ne viens pas particulièrement d’un milieu religieux, mais j’ai commencé à me rendre à diverses célébrations organisées par des églises évangéliques en Suisse presque tous les dimanches. Et cela m’a comme aspiré, j’ai été fasciné par la manière dont ces gens semblent à la fois modernes et raisonnables, et vivent en même temps dans une réalité où les miracles, Jésus et le diable sont parfaitement vivants.

Photo de The Innocent de Simon Jaquemet

Le ton de votre film est surprenant car il est à la fois glacé, presque clinique, mais aussi mystique et guidé par l’imagination. Comment avez-vous abordé cet équilibre lors de l’écriture du film ?

L’idée de tourner ce film dans l’hiver suisse, sans neige mais avec ce crépuscule gris (ce qui est typique de la saison froide), figurait dès le début de l’écriture. J’ai écrit pratiquement tout le script en hiver et je suis allé en excursion pour prendre des photos durant cette saison, prolongeant un travail entamé des années avant le tournage. Tout cela vient aussi certainement de ma propre aversion vis-à-vis de l’hiver ; l’idée était de trouver une beauté sèche dans cette lumière froide et ces espaces vides. J’ai aussi la conviction qu’en hiver, le désir d’expérimenter des moments magiques ou mystiques est plus fort, et l’imagination est davantage stimulée quand l’environnement est si froid. Le développement de l’histoire comme du style visuel était en fait mené par l’imagination plus que par une approche intellectuelle, conceptuelle. Cela se voit clairement dans le film.

L’atmosphère visuelle dans votre film est un élément très important. Comment avez-vous travaillé sur ce point ?

Le style découle en partie de ce que j’avais réalisé sur mon premier long métrage. Nous avons tourné essentiellement caméra à l’épaule. Des plans en steadycam, qui donnent une impression de tableau plus rigide, ont été insérés comme des ruptures. Nous avons essayé de tourner la plupart des scènes en une prise en interrompant le moins possible. Nous avons principalement utilisé un même grand angle qu’on n’a changé que pour quelques plans. La caméra, lorsqu’elle bouge, ne va pratiquement qu’en avant. On a essayé d’éviter le plus possible les mouvements en arrière ou latéraux. La raison principale de ce choix est qu’il correspond mieux à la façon dont je vois le monde et comment j’imagine mes histoires. Dans le meilleur des cas, cela mène à un effet d’aspiration projetant le public dans l’histoire et l’univers du film. Les rares coupes et l’absence de musique donnent à l’image une apparence authentique qui aide à accepter les événements aux frontières du réel tels qu’il y en a dans le film.

Il était également clair que le film suivrait toujours, à deux exceptions près, le personnage principal et ne quitterait jamais sa perspective. Le directeur de la photographie et moi-même avons considéré la caméra comme si elle était reliée à l’héroïne par un élastique. C’est à dire que la décision de la suivre devait donner la sensation que le mouvement de caméra est dicté par le personnage mais n’anticipe pas ce qui va lui arriver. La plupart des intérieurs sont de « vrais » lieux et nous avons eu besoin de beaucoup de temps pour les trouver. Nous les avons légèrement ajustés pour qu’ils correspondent à la palette chromatique et à l’esthétique générales du film – et en rendant la plupart des murs blancs. Nous avons évité les rayons du soleil lorsqu’on a tourné à l’extérieur, les lumières artificielles au plafond ou à travers les fenêtres. Le but était d’avoir une liberté de mouvement et de ne pas distraire les acteurs qui dans certains cas étaient non-professionnels. Cela nous a menés vers un style de lumière qui apparaît très naturel, pas particulièrement artificiel. Pour moi le film devait avoir un côté à la fois éthéré tout en ayant l’air très naturel – c’est très proche de ce que j’avais imaginé au début du projet.

L'héroïne de The Innocent, de Simon Jaquemet, évoluant au sein d'une communauté de chrétiens radicaux

Quels sont vos cinéastes favoris, ceux qui vous inspirent ?

Mes favoris sont des grands noms tels que Michael Haneke, Lars von Trier, Ulrich Seidl, Andrea Arnold, Carlos Reygadas et Ruben Ostlund.

Quel est le dernier film où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent ?

Der Nachtmahr, que j’ai vu il y a environ deux ans, est un film que j’ai trouvé très excitant. AKIZ, le réalisateur, n’est pas vraiment un nouveau venu mais je ne le connaissais pas avant ce film. La manière dont le long métrage mêle une horreur ado très divertissante avec des questions sérieuses sur le fait de grandir et devenir adulte, le style visuel étrange et la narration audacieuse m’ont semblé très rafraichissants.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 3 décembre 2018.

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