Mariam est le premier long métrage de la réalisatrice kazakhe Sharipa Urazbayeva. Le long métrage inspiré de faits réels raconte l’histoire d’une mère qui doit faire face, dans un coin isolé de tout, à la disparition mystérieuse de son mari. Plus surprenant qu’il n’y paraît, ce film puissant, sélectionné à Locarno et à Busan, révèle un talent à suivre. Nous avons rencontré la réalisatrice dont le film est diffusé cette semaine au Festival de Vesoul…
—
Quel a été le point de départ de Mariam ?
Mariam est basé sur des faits réels, et le film se situe à la frontière entre le documentaire et le drame. Je travaillais pour une chaîne de télévision locale quand une femme nous a contactés pour nous dire que son mari avait disparu. Elle avait quatre enfants, aucun moyen de survivre, et ne pouvait pas obtenir le soutien financier de l’État parce que son mari n’a pas été officiellement déclaré mort.
Je suis allée avec une équipe de télévision dans son village, à 480 km de la ville d’Almaty, puis à 3 km à pied. Découvrir cette région a été un choc : cette femme, Meruert, vivait dans un isolement total. Son mari était parti avec son frère. Le frère a été retrouvé mort 5 jours plus tard, mais son mari, deux ans et demi plus tard, était encore porté disparu. J’ai décidé de tourner un film sur la vie de Meruert. En deux semaines, j’ai écrit un scénario et commencé la pré-production.
Comment collabore t-on avec une actrice jouant un rôle inspirée de sa vie ? Comment avez-vous évalué la distance que vous pouviez prendre avec sa propre histoire ?
Au départ, je voulais proposer le rôle à une actrice professionnelle. Puis je me suis demandé : pourquoi ne pas proposer à Meruert elle-même ? Il n’était pas nécessaire de composer un personnage puisque le film s’inspire beaucoup de sa vie, de son environnement, et ce sont ses propres enfants qui jouent dans le film. Je me souviens du jour où je suis venue vers elle pour l’informer de mon intention de faire un film et de l’inviter à jouer dedans. Elle sortait d’une immense demeure où elle venait de faire le ménage et m’a dit que le propriétaire de la maison lui avait accordé une pause de 15 minutes. Elle lave maintenant des restaurants de la ville pour nourrir ses 4 enfants. Bien sûr, au début, elle ne savait pas comment fonctionnait un tournage de film. Elle avait peur et n’avait pas confiance en elle. Nous avons parlé longuement pour surpasser ce blocage psychologique et pour lui donner davantage confiance en elle.
Le tournage de Mariam a été très court, avec une toute petite équipe. Dans ces conditions et avec ces contraintes, comment avez-vous envisagé le travail visuel pour raconter cette histoire ?
Effectivement, le film a été tourné en 5 jours. Cette durée a été conditionnée par le petit budget du film et le fait que nous étions loin de la ville et de la civilisation. Les gens étaient rapidement épuisés à travailler sans électricité, sans eau chaude, avec un faible réseau mobile. Le directeur de la photographie a décidé de simplement utiliser l’éclairage naturel pour coller à la réalité. Le décorateur a travaillé avec ce qu’il avait sous la main. Meruyert vit aujourd’hui dans la maison que l’on voit dans le film.
Nous avons vu ces dernières années des drames puissants réalisés par des femmes venant du Kazakhstan. Je pense aux films de Zhanna Issabayeva, Olga Korotko ou au vôtre. Selon vous, est-ce que quelque chose se passe actuellement du côté des réalisatrices kazakhes ?
C’est difficile de répondre ! Le Kazakhstan, en tant que pays d’Asie centrale, a ses propres lois. Bien sûr, il y a des difficultés liées notamment au fait qu’être cinéaste est considéré comme une profession masculine, et cela peut être délicat quand vous avez besoin de diriger une équipe. Vous aurez toujours des hommes qui se sentent forts et ne veulent pas obéir à une femme. Parmi tous ces réalisateurs, on trouve quelques réalisatrices.
Les femmes que mentionnez n’ont jamais reçu de soutien de l’État, elles ont produit leurs films essentiellement avec leur propre argent et/ou font des films à petit budget. Mais il arrive aussi que de jeunes réalisateurs masculins doivent patienter des années pour financer leur film. Dans ces conditions, il me semble préférable de travailler sur un petit budget qui permette de tourner sans attendre.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Je suis plus sensible au cinéma d’auteur. Quand j’étais étudiante, nos enseignants disaient qu’il était impossible d’épuiser entièrement tout ce qu’on peut retirer du cinéma de Tarkovski. Maintenant que j’ai vu ses films, je suis convaincue de cela. J’aime aussi les films de Nuri Bilge Ceylan, Kim Ki-Duk ou Lars Von Trier. Voilà des réalisateurs qui font des films auxquels je repense.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Vous savez, quand je dis que je ne regarde pas tant de films que ça, beaucoup de cinéphiles sont surpris. « Vous êtes réalisatrice, pourquoi ne pas regarder davantage de films ? ». Ce n’est pas parce que je ne regarde pas beaucoup de films que je n’aime pas ça, mais j’ai la sentiment que regarder ce que font d’autres réalisateurs me pousserait à les imiter et à m’éloigner de ma propre liberté. J’aime les films, mais je veux faire un film honnête qui corresponde à ma propre vérité.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 20 août 2019. Un grand merci à Anna Katchko. Crédit portrait : Marco Abram.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |