El espacio sideral de l’Argentin Sebastián Schjaer raconte l’histoire de Clara, partie retrouver une amie à Buenos Aires. Ce court métrage d’une beauté tranquille et étincelante marie avec grâce le cosmos et l’intime. C’est une des merveilles du programme courts de la Quinzaine des Réalisateurs, qui était à l’honneur ce weekend lors de la reprise organisée par le Forum des Images. Sebastián Schjaer est notre invité de ce Lundi Découverte.
Quel a été le point de départ de El espacio sideral ?
Tout a commencé par la rencontre d’un groupe d’amis et l’envie de filmer ce qui se passait entre eux. Il y avait une aura particulière à chaque fois que nous nous rencontrions, devant et derrière la caméra. À partir de ce sentiment, nous avons commencé à dérouler un script, qui n’avait pas de structure définitive mais qui était plutôt un guide pour donner une direction au tournage. D’une certaine manière, c’est un film sur l’amitié. Nous avons filmé six jours répartis sur deux mois.
El espacio sideral est très beau et très inventif visuellement. Comment avez-vous abordé le style visuel pour raconter cette histoire en particulier ?
Il y a deux aspects dans la construction des images. D’une part, le travail avec Mauro Movia, qui a fait la lumière et la caméra. Il a un regard si délicat et subtil sur le monde, et aussi une présence que je trouvais intéressante à traduire en images, quelque chose d’éthéré je dirais. D’autre part, il y a l’étape du montage, durant laquelle toutes les images (qui entrent en collision les unes avec les autres, qui dialoguent avec le son) sont nourries de nouvelles significations et acquièrent de nouvelles formes en changeant de couleurs, en fusionnant avec d’autres plans, ou en se chevauchant avec un autre type de matériaux tels que les dessins ou les lettres. Pour moi, l’étape de mise en scène la plus importante et la plus libre est précisément dans la salle de montage, où tout peut devenir différent de ce qu’il semblait être a priori.
Votre film parle de l’espace sidéral et montre des images de cosmos mais c’est aussi une histoire très intime et “miniature”. Comment avez-vous trouvé le point de rencontre entre l’infiniment grand et l’infiniment petit dans El espacio sideral ?
Je crois que là encore qu’il faut revenir au montage, durant lequel une logique rationnelle d’organisation de l’histoire coexiste avec un aspect plus intuitif autour du rythme, des contrastes, de la coexistence d’éléments « externes » à l’image. Je voulais que ce cosmos « fantastique » (comme s’il venait de l’imagination d’un enfant) et qu’une scène d’appartement soient aussi surprenants l’un que l’autre. C’est la raison pour laquelle même les scènes les plus anodines sont imprégnées de ce sentiment d’étrangeté.
En même temps, je voulais que les ressources soient évocatrices et simples, et qu’elles se réfèrent à quelque chose d’artisanal. C’est pourquoi les planètes et les interventions graphiques sont proches de cet imaginaire d’enfant jouant et inventant le monde ; et c’est aussi pourquoi le point de vue du film est comme celui d’enfants qui regardent les avions décoller. Toutes ces idées ont été pensées lors de l’écriture des lettres avec Melanie Schapiro, qui en plus d’être la productrice est la co-scénariste du film. Pendant plusieurs mois, nous avons écrit les lettres de manière à ce qu’elles puissent tisser un lien entre la relation des deux amis et leur rapport mystérieux avec l’espace.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
En travaillant sur le montage d’autres films que les miens, avec d’autres réalisateurs, je trouve une source d’inspiration qui est vitale pour réfléchir plus tard à mes propres projets. Cet enthousiasme à entrer dans le monde des autres m’arrive presque toujours, mais cela se vérifie surtout auprès des gens avec qui je travaille sur plus d’un film, comme les cas de Matías Piñeiro et José María Avilés. Le montage est comparable à une page blanche, malgré le fait qu’en théorie tout est déjà filmé et n’a qu’à être mis en ordre. Une question très simple traverse le moment du montage : « et si… ? ». Je ne trouve rien de plus inspirant que cette question, qui peut aussi être pensée du point de vue du son.
Dans El espacio sideral, par exemple, Martín Scaglia n’a presque pas utilisé le son original du tournage, et, en prenant comme modèle les films de Jacques Tati, il a reconstruit les moindres sons afin que tout ait l’air un peu artificiel. Toujours dans cette idée, la collaboration auprès de Melanie Schapiro, avec qui nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir et à imaginer les multiples possibilités du film, était également vitale. En même temps, j’essaie aussi de puiser beaucoup dans d’autres disciplines, comme la musique, la danse et la mode. A cet égard, travailler avec les acteurs du film, Sofía Vitullo, Manuel Schjaer et Ana Johnston, était incroyable parce qu’ils viennent précisément de ces autres disciplines. Nous partageons notre vie quotidienne, donc d’une certaine manière, ce sont généralement elles les personnes qui m’inspirent le plus.
Pour en revenir aux influences dans le monde du cinéma, je regarde autant de films que je peux, presque comme un accro. J’aime voir tout ce qui me tombe entre les mains, sans préjugés. Quand je trouve des réalisateurs que j’aime, c’est là que je vais plus loin. Dernièrement, j’ai re-regardé les films de Claire Denis et Hou Hsiao-Hsien. Et ces derniers jours, j’ai eu beaucoup d’enthousiasme pour Jean Painlevé, dont les documentaires ont quelque chose de musical, ludique et plastique que je trouve très attrayant.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je ne pense généralement pas en termes de découverte de talents, plutôt en termes de trouver des formes qui m’excitent; en fait la plupart des fois où j’ai découvert un “nouveau réalisateur”, c’était quelqu’un avec une carrière déjà énorme. L’année dernière, par exemple, je suis tombé sur les films de Heinz Emigholz qui ont eu un grand impact sur moi; cette relation entre le cinéma et l’espace, cette façon de construire les cadres et de générer un récit à partir de l’architecture me semblait géniale. J’ai aussi vu pas mal de films d’Eric Baudelaire ; chez lui, je me suis intéressé aux multiples points de départ à partir desquels il crée ses films : il peut s’agir d’une photo, d’une anecdote, d’un matériel d’archives, des locaux d’une institution.
Mais ces quêtes d’un cinéma plus contemporain sont toujours traversées par des cinéastes classiques, auxquels je reviens encore et encore, de Yasujiro Ozu à Raoul Walsh, en passant par Éric Rohmer. Plus je revois leurs films, plus je suis surpris de voir à quel point ils me semblent contemporains.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 juillet 2021. Un grand merci à Melanie Schapiro.
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