Sélectionné à Quinzaine des Réalisateurs et à l’honneur cette semaine à Toronto, le court métrage Beben raconte le quotidien d’un jeune homme handicapé, soigné par aquathérapie. L’écriture subtile et la mise en scène magnétique de l’Australien Rudolf Fitzgerald Leonard, basé à Berlin, offrent au film une vibration singulière, surprenante et émouvante. Rudolf Fitzgerald Leonard est notre invité.
Quel a été le point de départ de Beben ?
En 2018, j’ai commencé à travailler avec ma co-scénariste et productrice Annika Birgel sur un concept, centré sur la relation entre une physiothérapeute et son patient. Je voulais raconter une histoire sur le fait de surmonter un traumatisme et à quel point la relation entre la thérapeute et le patient pouvait être fragile et intime. Je souhaitais me concentrer sur un moment où la confiance se retrouve brutalement rompue entre eux, et ce de façon publique. Je voulais explorer à quel point cela pouvait ébranler la vie des personnes impliquées, telles des répliques d’un tremblement de terre. Au cours de nos recherches, nous avons été captivés par des thérapies à l’eau utilisées spécifiquement pour la réadaptation physique et le traitement de certaines maladies chroniques.
Annika et moi avons nos propres expériences respectives en physiothérapie et en vivant avec des membres de la famille atteints de maladies chroniques et de handicaps. Nous sommes tous les deux très attachés à l’idée de produire des représentations responsables et non réductrices des personnes vivant avec un handicap. Cependant, nous ne voulions pas faire un film sur le handicap ou ce que signifie être « handicapé », mais nous voulions simplement dépeindre un personnage dont l’expérience vécue était sous-représentée dans la fiction.
Nous savions que pour écrire une histoire authentique avec comme base la physiothérapie, nous devions travailler aux côtés de vrais thérapeutes et de personnes qui reçoivent une thérapie. En cherchant des conseils pour notre processus d’écriture, nous avons découvert Luis Brandt (co-scénariste et acteur principal) sur Youtube, qui est très impliqué dans la représentation des personnes handicapées dans les médias. Luis est né avec une paralysie cérébrale, qui est une condition qui affecte le système nerveux, entraînant des mouvements musculaires restreints et des spasmes involontaires. Au fil des années, Luis a subi diverses chirurgies et types de thérapie pour gérer son état. Le temps que nous avons passé ensemble à discuter du projet s’est transformé en une collaboration très fructueuse de plusieurs années.
Comment avez-vous abordé l’écriture de Beben, dans un film où le silence semble être un outil si important ?
Dans Beben, Leon souffre de spasmes musculaires récurrents et de crises d’épilepsie, qui se produisent à des moments et des endroits aléatoires. Je voulais refléter cette irrégularité et cette intensité à travers la conception sonore ; interrompre de longues périodes de silence avec des sons diégénétiques discordants, abrasifs ou discordants. C’était une façon de représenter la nature imprévisible de l’épilepsie de Leon et de ses spasmes, et la tension émotionnelle plus profonde en lui qui refait fréquemment surface.
Il y a quelque chose de très magnétique dans la mise en scène de Beben. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez envisagé de raconter cette histoire en termes visuels ?
Lorsque Stefanie Reinhard (notre directrice de la photographie) et moi avons réfléchi à notre approche pour le tournage de Beben, nous avons veillé à observer Leon à une distance intime et à rester toujours à son niveau. La caméra resterait principalement statique, comme si elle était incapable de se libérer d’une certaine perspective ou d’un certain moment. La caméra n’aurait la liberté de bouger que lorsque Leon lui-même bougerait, généralement lorsqu’il faisait du vélo.
J’ai aussi choisi d’avoir une attention plus particulière sur ses mains et de ses bras durant les diverses activités quotidiennes de Leon. J’espérais illustrer à quel point il est nécessaire à son sentiment d’indépendance qu’ils fonctionnent correctement, et que les spasmes imprévisibles dont il souffre menacent de le déresponsabiliser à tout moment.
Nous avons choisi de tourner le film avec une sensibilité ISO plus élevée que nécessaire pour une exposition correcte, sans vraiment faire de débruitage d’images. L’augmentation de la sensibilité du capteur de la caméra introduit plus d’imperfections visuelles dans l’image que lors d’une exposition à une sensibilité inférieure. J’aimais l’idée d’embrasser les imperfections de l’image, car elles ne sont généralement jamais considérées autrement que comme des problèmes nécessitant une correction.
En permettant au public de suivre l’histoire de Leon tout en regardant une image numérique non corrigée, j’espérais évoquer les caractéristiques des images de l’incident, qui ont elles-même été capturées par la caméra d’un téléphone à une basse résolution très compressée. Les imperfections de l’image numérique sont une partie inévitable de l’esthétique de ce film, car la vidéo de l’incident est une présence inévitable dans la vie quotidienne de Leon.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
C’est une question très difficile à laquelle je vais vous donner une réponse qui sera soit trop longue, soit trop courte ! Et certains films qui m’ont influencé sont signés de cinéastes qui ne figurent pas forcément parmi mes favoris. Mais j’admire les œuvres de Krzysztof Kieslowski, Abbas Kiarostami, Robert Bresson, Hirokazu Kore-eda, Angela Schanelec, Yasujiro Ozu, Claire Denis, Bruno Dumont, Apichatpong Weerasethakul, et bien d’autres.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Assister à la Quinzaine des Réalisateurs a été une occasion fantastique de découvrir des cinéastes que je ne connaissais pas et dont les œuvres ont vraiment résonné en moi. Rien que dans la sélection de courts métrages, il y avait tellement de films intéressants et réalisés avec talent que j’étais heureux d’être projeté à leur côté. J’ai trouvé que The Spiral de María Silvia Esteve était réalisé de manière particulièrement extraordinaire, c’est quelqu’un dont j’ai l’intention de suivre de près le futur travail.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 2 juin 2022. Un grand merci à Annika Birgel.
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