Doublement sélectionné en début d’année à Sundance puis la Berlinale, l’Allemand Human Factors de Ronny Trocker fait sa première française cette semaine au Festival de La Roche-sur-Yon. Dans ce film, une famille en vacances voit sa résidence secondaire envahie de façon mystérieuse. Le réalisateur emprunte au home invasion pour signer un drame paranoïaque où le vernis social craque comme une mini-plaque tectonique. Ronny Trocker est notre invité.
Quel a été le point de départ de Human Factors ?
Il y eu plusieurs points de départ pour ce projet. D’abord quelque chose de plus personnel, et qui concerne les questions familiales. Je pense que la famille est une construction très explosive, fragile, souvent contradictoire aussi. Chacun joue un rôle spécifique, il y a des attentes, les gens communiquent entre eux et parfois non.
D’un autre côté, je me suis intéressé à la question de la perception, la façon dont les « réalités » ou les « vérités » sont construites et comment ce processus peut facilement être manipulé. Cela est aussi lié à notre époque et aux réseaux sociaux. Nous sommes confrontés à de nombreux points de vue et je pense qu`on est souvent dépassé. C’est un peu paradoxal, mais j’ai l’impression que la communication massive rend les échanges souvent plus superficiels. Autour de ces questions, j’ai essayé de construire dans le film ce microcosme familial.
A plusieurs moments dans votre film, on se demande qui regarde ce qu’on est en train de voir. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez utilisé la caméra pour inviter le public dans cette histoire ?
J’ai commencé à développer le concept visuel avec mon caméraman Klemens Hufnagl alors que j’étais encore en train d’écrire, car il me semblait particulièrement important dans ce projet que le travail de la caméra souligne les particularités de la narration. Dans notre film, les positions des caméras peuvent (presque) toujours être attribuées à une perspective humaine potentielle. Je voulais que le spectateur se sente comme un observateur invisible au milieu de la famille ou qu’il vive les situations avec les yeux d’un des personnages. Parfois, on peut clairement attribuer le point de vue, parfois on ne sait pas. Avec cela on voulait créer un sorte de tension ou une confusion, qui permettent également de s’interroger sur notre propre acte de « regarder ».
Comment avez-vous travaillé sur la structure narrative du film et plus particulièrement l’utilisation des différents points de vue ?
La structure narrative est née du fait que je n’arrivais pas à décider de quel point de vue je voulais raconter l’histoire. Dans cette indécision, j’ai alors pris certaines scènes et les ai écrites avec un point de vue différent et j’ai trouvé que c’était une expérience très intéressante. Le défi consistait à ne pas trop « torturer » le spectateur avec mon intérêt formel et, malgré les répétitions, à créer une narration qui avance comme un tout.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Un de mes premiers amours cinématographiques a été Michelangelo Antonioni. Cette liste pourrait être très longue, mais je suis particulièrement touché par le travail de Lucrecia Martel et de Nuri Bilge Ceylan et enfin aussi beaucoup par les films de Kelly Reichardt.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?
Je trouve le travail de la réalisatrice autrichienne Sandra Wollner très impressionnant, mais aussi celui de l’Argentin Teddy Williams. Chacun à sa manière, et avec des moyens simples, crée quelque chose d’incroyablement puissant et très radical, très libre. Je trouve que leurs films ouvrent comme de nouvelles possibilités de penser la narration dans le cinéma.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 octobre 2021. Un grand merci à Eleni Oulani.
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