Dans Carro Rei, la Brésilienne Renata Pinheiro raconte l’étonnante histoire de voitures qui prennent vie. Dévoilé à Rotterdam et au programme cette semaine du BIFFF, cet ovni est une fable loufoque et poétique, un film politique en même temps qu’une comédie jubilatoire. Renata Pinheiro est notre invitée.
Quel fut le point de départ de Carro rei ?
J’ai toujours été étrangement attirée par certains objets inanimés. Par exemple, j’imagine souvent tout le trajet qu’une bouteille a pu faire avant d’arriver jusqu’à moi : par combien de mains elle est déjà passée, ce qu’elle a « vécu ». Une partie des mes œuvres vidéo explorent ainsi la vie secrète des objets. C’est notamment le cas du court métrage Praça Walt Disney, co-réalisé avec Sergio Oliveira, qui est disponible sur le site du Festival de Rotterdam. C’est peut-être quelque chose de naturel pour les humains, de désirer se projeter et se reconnaître dans tout ce qui nous entoure. Carro rei aborde les objets technologiques comme faisant déjà partie d’une progéniture humaine car ils sont désormais notre famille, et nous sommes pour ainsi dire presque transhumains.
Je vis dans un pays où l’industrie automobile sert de référence pour mesurer le développement économique national. Plus encore : la voiture devient un symbole de statut social, ce n’est plus uniquement quelque chose de pratique qui sert au transport. Les grandes villes brésiliennes débordent d’embouteillages, il faut un temps fou pour s’y déplacer. Un jour, je marchais dans la rue et il y avait des voitures garées sur le trottoir, ce qui m’a énervée. J’ai alors dit à Sergio : « Les véritables propriétaires de la ville, ce sont les voitures ». Ce fut la première étincelle qui nous a poussés au travail, j’avais envie de faire un film où elles seraient des personnages à part entière.
Carro rei est à la fois surnaturel, politique, sexy, drôle et poignant. Comment avez-vous trouvé votre équilibre idéal entre ces différents tons ?
Trouver l’équilibre dans un film est aussi difficile que de trouver son équilibre dans la vie. Je voulais que le film me permette d’aborder tous ces aspects directement avec les spectateurs. C’est de là que l’équilibre est venu : de ce besoin ardent d’être entendue, de communiquer avec n’importe qui, de n’importe quelle culture. Dans cette recherche, le merveilleux m’est alors apparu comme un lieu particulièrement confortable. Le merveilleux ou la fantaisie davantage que le fantastique, c’est à dire l’émerveillement pur et la fantaisie politique.
Dans quelle mesure votre expérience de décoratrice vous a été utile pour faire ce film ?
Il est certain que ma vaste expérience de décoratrice mais aussi en tant que plasticienne m’aide à faire des films. Mais maintenant que j’ai un peu de recul sur mon parcours, je crois que j’ai développé et accumulé mon arsenal artistique avant même de travailler avec le cinéma. C’est dans les arts plastiques que j’ai pu faire d’innombrables expériences. Ces expériences reviennent toujours en moi, elles sont toujours présentes dans mon imagination et j’ai sans cesse l’impression que mes créations ne sont que des variations de ces premières expériences. J’ai aussi passé beaucoup de temps à faire du théâtre, je suis diplômée d’une école d’art dramatique, ce qui m’aide également à créer la mises en scène. J’aime pousser les acteurs à atteindre le maximum de leur puissance expressive. J’aime diriger tout le monde, y compris les figurants, les objets, et même les chiens quand il y en a dans le plan (rires).
Qui sont vos cinéastes préféré.e.s et/ou celles et ceux qui vous inspirent ?
J’ai admire énormément : David Lynch, Apichatpong Weerasethakul, Lucrecia Martel, Leos Carax, Michel Gondry, Sean S. Baker, Andrea Arnold, Kleber Mendonça Filho, Chloé Zhao, Tavinho Teixeira, Adirley Queiroz, Bong Joon Ho, Kelly Reichardt, Sergio Oliveira, Steven Spielberg, John Carpenter…et tant d’autres.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je ne sais pas si on peut parler de nouveaux talents parce qu’ils sont déjà bien identifiés, mais je me souviens avoir été bouleversée à la vision de Parasite et The Florida Project. Ce sont deux films très différents qui m’ont beaucoup secouée.
Pour finir, quel est votre film préféré centré sur une voiture ?
Aussi bizarre que cela paraisse, je n’ai pas cherché à voir des films avec des voitures pour préparer Carro rei. Il y a certains films que j’avais déjà vus et aimés tels que Holy Motors, Drive, Baby Driver, Christine…. Je travaille sur ce film depuis environ 7 ans. Certains films qui m’ont servi de référence ne l’ont plus été par la suite. D’autres films sont venus alors que nous avions déjà terminé le scénario. Un ami m’a récemment parlé de Rubber de Quentin Dupieux, j’ai très envie de le voir.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 3 février 2021.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |