Festival de Mannheim-Heidelberg | Entretien avec Philippe Grégoire

Le Bruit des moteurs est le premier long métrage du Canadien Philippe Grégoire. Ce film raconte l’histoire d’Alexandre, formateur pour l’armement des douaniers, qui retourne dans son village natal après avoir été diagnostiqué par son employeur pour sexualité compulsive. Inventif et séduisant, Le Bruit des moteurs, primé lors de sa première française au Festival de La Roche-sur-Yon et sélectionné cette semaine à Mannheim-Heidelberg, révèle un talent à surveiller. Philippe Grégoire est notre invité.


Quel a été le point de départ du Bruit des moteurs ?

Au moment de faire le montage sonore de mon court métrage Un seul homme (2016), mon ami Julien Éclancher m’avait dit qu’il n’arrivait pas à voir ce que j’avais amené de ma personne dans ce projet. Ça m’avait ébranlé et ça m’avait beaucoup fait réfléchir sur l’acte de création. La remarque de Julien m’avait amené à porter un regard critique envers moi où je me demandais à quoi bon faire de l’art si je n’étais pas en mesure d’y mettre du mien. C’est probablement à partir de ce travail introspectif sur ma relation à la création cinématographique que j’ai pu commencer à mettre en place les fondements de mon prochain projet qui allait devenir Le Bruit des moteurs.

Le Bruit des moteurs est votre premier long métrage et c’est un film visuellement inventif et ambitieux. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le traitement visuel que vous avez choisi pour raconter cette histoire ?

J’apprécie un cinéma qui sait se montrer audacieux et risqué. C’est ce que je souhaitais offrir aux cinéphiles avec mon premier film et cette idée était en moi parce que je crois aussi beaucoup en l’importance d’une proposition originale au cinéma. Pour cette raison, j’ai dès le départ cherché à favoriser les prises de décision capables de nous placer en décalage avec un cinéma narratif classique. Ce goût pour le risque allait se manifester de façon évidente aux génériques, aux ruptures de ton du récit et, bien évidemment, à la composition des images.

J’ai voulu mettre en avant l’utilisation du plan large pour donner la chance aux spectateurs.trices d’avoir un temps et un espace pour réfléchir au moment de recevoir l’absurdité des dialogues. Par le plan large, je souhaitais que le/la spectateur.trice soit en mesure d’entendre ce que les personnages se disent, mais qu’il soit aussi possible de se détacher pour remettre en contexte les dialogues du film. Je reconnais que la formatrice offre un judicieux conseil à l’apprenante en lui proposant de porter son masque de protection dans sa chambre au collège pour « s’habituer au port du masque ». Seulement, ça devient étrangement absurde lorsque c’est mis en relation avec l’ensemble du monde dans lequel on évolue et légèrement en dehors du contexte des agents de douane en formation 😉

De l’armement des douaniers au héros perçu comme un étranger menaçant, dans quelle mesure diriez-vous que Le Bruit des moteurs possède une dimension politique ?

J’ai choisi d’aborder avec Le Bruit des moteurs ces thèmes où j’arrive difficilement à m’expliquer certains choix de société. Il m’arrive assez souvent de me sentir comme ces Lilliputiens de Jonathan Swift complètement pantois face aux explications fournies par Gulliver pour justifier le monde dans lequel il évolue.

L’armement des douaniers au Canada ne s’est pas fait uniquement dans la joie et l’allégresse. Certain.e.s agents.es de douane s’étaient opposés.es farouchement à ces nouvelles mesures. J’étais sur place au moment de l’armement des agents.es de douane et j’avais été stupéfait de constater le changement que cela avait opéré sur mes collègues de l’époque. J’avais entendu, à plus d’une reprise, des agents.es qui s’étaient opposé.es à l’armement me dire, maintenant qu’ils/elles avaient été formés.es au port de l’arme, qu’ils/elles comprenaient désormais toute l’importance à l’armement des agents.es de douanes. Ces agents.es tenaient soudainement un tout nouveau discours où il était maintenant primordial d’être armé à la frontière. Ça m’avait terrifié de constater à quel point il était facile de faire basculer le discours d’une personne pour l’amener à dire le contraire de ce qu’elle avait défendu becs et ongles quelques semaines auparavant.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je suis cinéphile et je suis sensible à plusieurs auteurs.trices et à diverses propositions.  Mes goûts peuvent être assez hétéroclites, mais avec Le Bruit des moteurs j’ai fait l’effort volontaire de me détacher du cinéphile que je suis.

Avec ce premier film, j’ai voulu faire un geste d’humilité et je me suis obligé à réaliser ce projet de la façon dont il allait se présenter à moi. Ce n’était pas rassurant de chercher à me faire confiance, mais en faisant ce film je savais que c’était peut-être la seule chance qu’on allait m’offrir de faire un long métrage. Pour cette raison, il m’apparaissait important que j’apporte une version honnête d’une histoire qui me trotte dans la tête. Sans chercher à lui imposer des limites ou des influences, j’allais choisir de faire cette histoire sans savoir si je m’enfonçais dans les meilleurs ou dans les pires sentiers de la création cinématographique.

Ceci étant dit, j’ai lu plusieurs critiques ces derniers temps qui comparent le film au travail de nombreux cinéastes et je me trouve choyé de trouver le titre de mon premier film associé à ces artistes que j’admire. De toutes les critiques et les commentaires que j’ai lus sur le film (et j’en ai lu plusieurs!) je crois avoir lu une seule fois une comparaison du Bruit des moteurs à une œuvre dont je demeure assez indifférent. À vous de faire vos recherches et de deviner laquelle 😉

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

J’ai rarement le sentiment de faire la découverte d’un nouveau talent. J’ai plutôt très souvent le sentiment d’arriver avec un peu de retard à la fête. Ces artistes de talent que je découvre ont été découverts par d’autres bien avant moi. C’est le cas du poète Jean-Christophe Réhel que j’avais rencontré pour la première fois sur le tournage du court métrage Le Chien (2015) de Nicolas Legendre. Jean-Christophe tenait le rôle-titre sur le film. Je l’avais trouvé très juste dans sa composition et j’y avais fait la rencontre d’une personne généreuse et sympathique.

C’est peu de temps après ce tournage que j’avais appris que Jean-Christophe était aussi poète et je m’étais procuré Les Volcans sentent la coconut à son lancement. Jusqu’ici tout va bien. On était en 2016 et j’aurais pu être à l’avant-garde de la vague qui allait frapper Jean-Christophe suite à la publication de son roman Ce qu’on respire sur Tatouine en 2018. Mais non. J’ai été comme tout le monde. Il a fallu que de nombreuses personnes me parlent du roman, de nombreux articles de journaux le mentionnent, de nombreux moments où j’ai même écouté Jean-Christophe à la radio sur Plus on est de fous, plus on lit! pour que, finalement, en 2021, j’écoute le livre audio de Ce qu’on respire sur Tatouine.

J’ai écouté le livre audio…. J’ai honte de le dire… Ma première expérience de ce roman aura été de l’entendre sur mon téléphone.. Mais je tiens à le dire en toute franchise parce que peu importe quand et comment j’y suis arrivé : il n’en demeure pas moins que j’ai eu énormément de plaisir à découvrir Ce qu’on respire sur Tatouine ! Pour tout dire, j’utilise cette question pour vous suggérer à mon tour, et avec beaucoup de retard, ce roman de Jean-Christophe Réhel. En version papier ou sur votre téléphone, mais en 2021 si possible 😉

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 octobre 2021. Un grand merci à Barbara Van Lombeek.

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