C’était l’une des découvertes du Festival de Rotterdam l’an passé : la réalisatrice russe Niguina Saïfoullaeva signe avec Fidélité un drame dans lequel une femme est prise dans une spirale après avoir soupçonné son mari de la tromper. Le résultat, réussi, surprenant et assez prometteur, est désormais disponible en vod sur UniversCiné. Niguina Saïfoullaeva est notre invitée.
Quel été le point de départ de Fidélité ?
Moi et mon co-scénariste Lyubov Mulmenko avons entamé notre travail d’écriture en faisant des recherches sur le phénomène de la jalousie. J’étais tellement jalouse que cela m’empêchait de construire une relation saine avec mon partenaire. Comme je considère que faire du cinéma est aussi une occasion de faire une psychothérapie, j’ai décidé de trouver un traitement. Quand nous avons terminé le script, j’ai eu le sentiment d’être allée au-delà du sujet, qu’il n’était plus aussi douloureux. La psychothérapie a fonctionné encore plus vite que je ne pouvais l’imaginer.
C’est pourquoi nous avons décidé de couvrir un problème plus large en interviewant des amis proches, en lisant des études et en découvrant des liens étonnants entre la jalousie et la recherche sur la sexualité des femmes. Nous avons découvert beaucoup de controverses entre le comportement des femmes et leurs motivations. Des motifs réels, d’autres faux. Pour nous, c’est quelque chose de nouveau et donc d’extrêmement important. Dans la Russie moderne, la sexualité féminine est tout à fait un tabou. Il est admis d’être un objet sexuel quand on est une femme, mais être le sujet de sa propre sexualité est encore source de honte.
Fidélité parle d’une femme qui soupçonne son mari de la tromper. Mais dans quelle mesure diriez-vous que le film parle avant tout des désirs de l’héroïne ?
Vous tapez en plein dans le mille avec cette question. Nous nous sommes rendu compte que la jalousie était un faux motif. Notre héroïne pense que la jalousie (le fait que son mari la trompe) est le cœur du problème, mais malgré ce qui se passe, elle continue de faire ce qu’elle fait. Sans vraiment comprendre ce qui la mène à se comporter ainsi. Elle est, en fait, motivée par une exploration intime, par la satisfaction de ses désirs secrets. Pour parvenir à une certaine conscience de soi. Atteindre une forme de liberté dans l’expression de ses désirs. Et ainsi, prendre le contrôle d’elle-même.
Fidélité est assez surprenant visuellement. Le film peut avoir l’air froid lorsqu’il traite de sentiments passionnés, et des éléments dramatiques peuvent être montrés sous une lumière radieuse. Comment avez-vous abordé le traitement visuel de cette histoire ?
Une palette de cyan pastel a été choisie pour souligner la froideur des relations. Comme une expression de la solitude. Pour la même raison, l’histoire se déroule près de la mer, au nord. En ce qui concerne les intérieurs, où les personnages sont plus proches les uns des autres, nous nous sommes concentrés sur des arrière-plans plus sombres qui mettent en valeur la chaleur de la peau, et la sensibilité. Nous avons délibérément rempli de soleil la dernière scène de sexe avec le mari, il était important que le spectateur ressente le sexe comme un acte d’intimité et d’amour malgré les dissensions entre les personnages. La correction des couleurs dans le film a également joué sur la dramaturgie, comme les nuances du froid au chaud qui accompagnent le transfert du rationnel au sensuel.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
En général j’adore les frères Dardenne, Pedro Almodovar et Woody Allen. Mais en préparant Fidélité, je me suis isolée des autres films afin de ne pas répéter ce que d’autres ont fait et de ne pas abandonner mes propres idées. Je ne voulais pas me mettre à douter de mes idées par rapport au travail de génies. J’ai décidé d’assumer la responsabilité de mon travail, quel que soit le résultat.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
Il y a tellement de films et de séries qui sont produits que j’ai du mal à suivre. C’est presque insupportable ! Il y a déjà tellement de talents que j’aimerais explorer ; j’ai l’impression que ma quête est déjà obsolète. C’est pourquoi j’avance lentement dans une liste aléatoire de recommandations, en étant surprise par les nouveaux talents que je découvre. C’est drôle mais quand je découvre un acteur non pas à travers un film mais sur scène ou dans un cadre personnel, j’essaie en général de ne pas regarder de film dans lequel il joue afin de ne pas affecter ma propre perception. Ça s’est passé comme ça pour mes acteurs principaux.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 31 janvier 2020. Un grand merci à Gloria Zerbinati.
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