C’était l’une des découverte du dernier Festival de Locarno. Documentaristes, les Bulgares Vesela Kazakova et Mina Mileva signent leur première fiction avec Cat in the Wall. Il s’agit d’un drame social urgent qui parle de gentrification, de Brexit, de Grande-Bretagne, d’Europe… tout cela à partir de l’histoire d’un gentil petit chat. Sa co-réalisatrice Mina Mileva nous en dit davantage et est notre invitée de ce Lundi Découverte.
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Quel a été le point de départ de Cat in the Wall ?
Ce sont des situations absurdes de la vie quotidienne. Nous avons pensé que cela pouvait constituer la base d’une bonne comédie. Nous venons d’un background communiste oppressif et sommes habituées à chercher des moyens satiriques pour réfléchir à une situation. Cat in the Wall dépeint une injustice sociale qui se passe en Grande-Bretagne de nos jours. Beaucoup d’autres Bulgares ont tendance à chercher un foyer à l’étranger parce que notre pays est dans un état terrible. Nous avons pensé qu’il est important de montrer à quoi ressemble notre maison dans une « Grande-Bretagne brisée ». Notre protagoniste principale Irina a sa maison comme démontée autour d’elle et le chat se barricade comme pour échapper à la tension humaine – c’est un appel à l’aide qui a de nombreux niveaux de lecture.
Le lieu de tournage joue un rôle important dans le récit de Cat in the Wall. Comment l’avez-vous choisi ?
C’est tout simplement ma maison. En raison du faible budget de production, nous n’avions pas d’autre choix que de tourner là-bas. Heureusement, cela ne nous a pas contraintes à faire de compromis créatifs. Les faits qui ont inspiré le film se sont déroulés là-bas et nous espérions que le tournage apporterait une autre couche métaphysique. Bien sûr, il y a eu aussi tout un travail de décoration et la valeur ajoutée créée par la directrice artistique Yulia Kunova, qui est une artiste londonienne du trompe l’œil.
Dans une interview, vous avez dit : « durant mes 20 ans de pigiste en Angleterre, on ne m’a jamais demandé d’où je venais jusqu’à ce que débute la frénésie médiatique anti-migrants vers 2010 ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
La Grande-Bretagne et en particulier Londres sont un endroit avec un certain confort. Les gens sont tolérants et abordent la plupart des trivialités avec un grand sens de l’humour. Personne ne se soucie trop d’où vous venez, car Londres est cet énorme melting-pot avec presque toutes les nationalités qui coexistent. Vers 2010, au beau milieu de la crise financière, d’étranges gros titres ont commencé à apparaître dans les tabloïds : « 31 millions de Bulgares et de Roumains viennent voler nos emplois », « Plus de racaille polonaise », etc. Les Polonais étaient déjà présents, avec des droits comme les autres en matière d’emploi. Avec le recul, j’ai tendance à penser qu’il s’agissait d’une préparation astucieuse au Brexit. Et c’était efficace. L’attitude des gens a changé.
Cat in the Wall parle de gentrification, de Brexit, de Grande-Bretagne, d’Europe… tout cela à partir de l’histoire d’un gentil petit chat. Comment avez-vous abordé la multiplicité de ces sujets lors de l’écriture du film ?
Nous sommes un peu les enfants terribles du cinéma bulgare. Nos films précédents traitant du passé communiste ont créé une controverse improbable en Bulgarie. Lorsque notre deuxième documentaire The Beast is Still Alive (maintenant acquis par la télévision ARTE) a été privé de diffusion, nous savions que nous devions être créatives sur le financement de notre prochain projet en Bulgarie. Nous avons décidé de soumettre une histoire simple sans trop de contexte politique.
Cependant, la réalité en Grande-Bretagne est devenue écrasante, nous devions en faire un long métrage et le faire à notre façon. Nous écrivons et réalisons toutes les deux avec Vesela et le processus est homogène. Elle est plus intuitive et me parle de ses sentiments, que j’essaie ensuite de mettre en contexte. Nous voulions aussi être prudentes et ne pas tomber dans le piège des films activistes ou révolutionnaires. Nous sommes heureuses que le contexte révolutionnaire se soit finalement exprimé avec l’aide de Goldie, le gentil petit chat.
Quels sont vos réalisateurs favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Ce serait très difficile et un peu injuste de nommer un seul réalisateur préféré car nous passons par des phases et avons de nombreuses influences. Nous venons d’horizons différents – Vesela était une actrice célèbre et elle compose aussi de la musique. Elle faisait du théâtre, classique comme contemporain, avant de se lancer dans la réalisation de films. Moi, j’étais dans les arts et l’animation. D’un côté, je chéris le sens de l’humour caustique de réalisateurs d’animation britanniques comme Nick Park et de l’autre, je suis inspirée par l’urgence d’auteurs bulgares dissidents sous le communisme comme Galin Malakchiev qui n’a pas vraiment été sous le feu des projecteurs.
Curieusement, Cat in the Wall a reçu des comparaisons flatteuses avec des réalisateurs acclamés tels que Ken Loach, Billy Wilder, Vittorio de Sica, les frères Dardenne. Mais en travaillant sur le film, nous avons été inspirées par Sasha Baron Coen et Meera Syal même si le style du film ne ressemble pas strictement à leur travail.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Nous apprécions le fait que les formes et les genres dans les arts ne sont plus aussi divisés qu’auparavant. Les documentaristes apportent de la réalité dans un cinéma de fiction où le sentiment de vérité prévaut. Les artistes visuels racontent des histoires puissantes avec des moyens inhabituels. Nous n’avons pas encore vu de grandes histoires en VR. Quand nous avons regardé Touch Me Not d’Adina Pintilie (lire notre entretien), nous avons eu le sentiment que ce film ouvrait un nouveau chapitre dans le cinéma. Il ressemble à une étude intime qui ne se repose pas sur une intrigue classique et cela fait du bien. Beaucoup de gens n’étaient pas d’accord avec le film, mais c’est ce qui renforce sa valeur. L’artiste bulgare Theodore Ushev a été nommé aux Oscars sans avoir réellement étudié la réalisation de films. Nous apprécions son travail pour sa puissance et sa conscience politique ainsi que les techniques mixtes qu’il utilise pour servir ses idées.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 22 septembre 2019. Un grand merci à Francesca Breccia.
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