Carrefour du cinéma d’animation | Entretien avec Marine Blin

Ce qui résonne dans le silence est un court métrage inventif et émouvant réalisé par la Française Marine Blin. Ce film, à travers les gestes d’une maquilleuse funéraire, traite avec sensibilité de notre rapport aux morts et à leur image. Sélectionné cette semaine au Carrefour du cinéma d’animation, Ce qui résonne dans le silence révèle un talent à suivre : Marine Blin est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Ce qui résonne dans le silence ?

Les prémices de ce projet remontent à plus de dix ans maintenant. A l’époque, j’ai découvert l’écriture automatique dans un workshop pendant mes études en animation. Le premier texte que j’ai écrit, qui est devenu ensuite la voix off du film, était le résultat de ce workshop. Nous devions écrire un texte basé sur une peinture de Magritte, représentant une paire de bottines vernies et une chevelure de femme. L’image m’a beaucoup marquée, et j’ai imaginé la rencontre silencieuse d’une femme préparant le corps d’une défunte juste avant une veillée funéraire. Le temps suspendu, les gestes intimes, le silence. Et puis le projet s’est nourri de ces mots, et de mes propres images de mort, manquantes ou non. De rituels de cultures différentes, de discussion avec des proches sur cette place particulière que prend la dernière image que l’on garde de quelqu’un. Et de l’importance d’avoir le choix de voir ses morts.

Comment avez-vous défini le style d’animation que vous souhaitiez utiliser pour raconter cette histoire ?

La forme du film a beaucoup évolué au fur et à mesure de son écriture. Dans un premier temps, je pensais que l’ensemble des scènes allaient se passer pendant la préparation du corps. Puis au moment de « poser » la mise en scène et de passer au storyboard j’ai eu un blocage. J’étais en quelque sorte séchée par cette forme. Et j’ai décidé d’aborder la création graphique de la même manière que celle de la voix, en écriture automatique. J’ai fait des centaines de dessins, plus ou moins abstraits, en écoutant cette voix. J’ai attendu, et repris ces carnets quelques semaines plus tard. Ont alors émergé des images récurrentes, des fils qui se tissaient entre eux. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de composer le film en deux parties.

La première est assez stylisée et évanescente, ce sont des images qui se forment et se transforment, disparaissent et émergent de nouveau. Pour moi c’est une manière d’évoquer la formation de nos mémoires, de nos souvenirs. Ce sont des images de ressentis, de petite fille et de femme. J’avais la sensation que cette partie était comme une conversation fluide et intime avec quelqu’un à qui l’on se confie. 

Dans quelle mesure diriez-vous que la dimension poétique et presque abstraite de la première partie du court vous a permis de traiter de manière encore plus réaliste et intime les thèmes de Ce qui résonne dans le silence ?

La première partie du court métrage est celle du témoignage que l’on offre. J’avais besoin de parler de l’histoire de cette femme, de son intime profond, de ses expériences. Sans cela, j’avais l’impression que la seconde partie ne pouvait pas porter son regard si particulier. Comme on ne voit pas cette femme dans la seconde partie (ou seulement ses mains, des bribes de son corps), il fallait qu’on puisse entrer en « contact » avec elle, qu’elle se présente. Que l’on sache comment cette image a été attendue, recherchée, chérie, permet de montrer l’état d’esprit dans lequel cette femme est lorsqu’elle prend soin d’un corps. Ce que ça déclenche en elle.

Il y avait aussi l’idée de mettre en place un certain rythme dans cette première partie. Comme une sensation de flottement, au rythme des transformations, quelque chose d’agréable, qui berce presque pour être emmené par cette voix. Ce qui permettait un vrai contraste avec la seconde partie qui a sa propre respiration, portée par la musique de Pierre Caillet qui reprend ces trames, comme des voix qui se répondent, se mêlent, hypnotiques. J’avais envie de montrer le corps marqué, vieilli, et la beauté profonde qu’il m’inspire. Je ne voulais pas « imposer » ces images de fin, mais plutôt qu’elles puissent laisser place au spectateur, que ce moment puisse être une parenthèse où le temps s’étire, pour amener enfin ce silence, et l’espace de leurs propres images. 

Quel.l.es sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

J’aime beaucoup le cinéma de Wim Wenders, Naomi Kawase, Werner Herzog, Satoshi Kon, Mariana Otero et bien d’autres.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Généralement je suis en complet décalage avec la nouveauté ! Donc, bien après le reste du monde, je peux vous citer deux films qui m’ont profondément marqué ces derniers temps.

Girl de Lukas Dhont, que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors d’une résidence d’écriture au Groupe Ouest pour un autre projet. J’aime la finesse de son écriture, ses choix de cinéma d’une puissance folle, et la vie qui s’en dégage. J’ai hâte de découvrir ses prochains projets !

Et un coup de cœur ou de tripe, au choix. Elle pis son char, un court métrage documentaire de Loïc Darses de 2015 découvert sur la plateforme Tënk. Un cadeau d’intimité, une déclaration d’amour, un portrait de femme d’une force éblouissante. Être capable de partager cet intime-là, c’est me raconter encore une fois pourquoi on choisit de faire ce métier, je ne peux que lui dire merci, sincèrement.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 avril 2021. Un grand merci à Estelle Lacaud.

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