Red Moon Tide a été l’une des belles découvertes au Forum de la dernière Berlinale. Ce trip hypnotique se déroule dans un village de la côte galicienne où le temps semble s’être arrêté et où les dimensions se confondent. Du cinéma post-apo à l’expérimental fantastique, Red Moon Tide est habité par une puissance picturale impressionnante. Sélectionné cette semaine au Festival New Directors/New Films, son réalisateur, l’Espagnol Loïs Patino, est notre invité.
Quel a été le point de départ de Red Moon Tide ?
Ce film est en quelque sorte dans la continuité de mon précédent long métrage, Coast of Death. Mais si dans ce dernier j’ai exploré l’identité galicienne en me concentrant sur l’histoire de ce paysage, dans Red Moon Tide nous allons de l’autre côté : nous observons cette réalité à partir des mythes qui surgissent de ce dangereux océan. Ainsi, en termes de contenu ce film continue l’exploration de l’identité galicienne, ici en se concentrant sur les êtres fantastiques de ce monde légendaire.
Et pour ce qui est du langage filmique, ça a toujours été l’un de mes premiers défis. Je voulais explorer plus profondément la nature malléable du temps, et j’ai trouvé, à travers cette mise de scène de gens immobiles dans le paysage, une séparation riche en réflexions sur ce thème : le temps intérieur vs temps extérieur, par exemple.
Votre film peut mettre en scène des figures fantastiques comme des sorcières, des monstres ou des fantômes. Mais le sentiment de surnaturel vient toujours de la façon dont on regarde les choses. Comment avez-vous abordé le style visuel assez unique de Red Moon Tide ?
Ce que j’explore dans mon travail en général, c’est la durée et la façon dont une image peut se développer dans le regard. Je pense que je commence toujours par une idée que j’ai bien intégrée, à savoir que toute chose possède en elle un mystère. Et la clé pour que ce mystère émerge, c’est de garder un état de contemplation profonde sur les choses, comme si nous pouvions invoquer leur esprit par le regard. « L’immobilité irradie », dit Gaston Bachelard dans son grand livre La Poétique de l’espace. Je crois en cette phrase et ici j’ai essayé de faire grandir cette irradiation à partir des corps paralysés, de lieux immobiles, ou de l’image elle-même.
Je m’intéresse beaucoup à la relation entre les gens et l’espace, et dans ce film, j’ai travaillé sur la tension narrative entre ces deux éléments, ce qui permet au spectateur d’imaginer une histoire de leur présence. J’ai travaillé avec en tête plusieurs références de la peinture comme Millet, Hopper, Hammershoi, ou la sculpture comme Juan Muñoz ou Antony Gormley.
L’écriture de Red Moon Tide est assez peu conventionnelle. C’est un style de narration très poétique. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
Le récit du film a été développé en différentes étapes qui ne correspondent pas vraiment à l’ordre habituel écriture – prise de vue – montage. Nous avons commencé le tournage avec un langage cinématographique clair mais une structure narrative plutôt modeste, nous n’avions pas à ce moment-là de dialogues écrits ou de personnages au-delà des principaux – les sorcières ou le marin naufragé. Comme les gens allaient être en quelque sorte « paralysés » et cette voix devait être comme une voix intérieure ou un écho du passé, nous avons reporté le processus d’écriture à l’étape du montage. Ainsi, les dialogues et le récit ont été conçus en parallèle du processus de montage, qui a été long et difficile car les images, sans action à proprement parler, étaient très polysémiques.
L’idée était de créer une légende comme elles surgissent habituellement : issue de différentes voix – parfois contradictoires – avec une origine qui ne soit pas claire, et que cela apporte peu à peu la forme indéfinie que les légendes ont. Comme beaucoup de légendes, celle-ci a un véritable point de départ : l’histoire de Rubio, un plongeur du village – qui joue lui-même dans le film – et qui tout au long de sa vie est allé chercher plus de 35 cadavres de marins disparus dans l’océan. Dans son histoire convergent beaucoup d’éléments que nous voulions explorer : la mer dangereuse, le processus de deuil, les fantômes des morts… Son histoire avait tous les éléments pour créer un mythe.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
J’admire beaucoup les cinéastes qui ont essayé de pousser le langage du cinéma vers de nouveaux territoires. C’est pourquoi j’aime des réalisateurs comme Andrei Tarkovski, Jean-Luc Godard, mais aussi Pedro Costa, Bela Tarr ou Albert Serra pour n’en citer que quelques-uns. Pour Red Moon Tide, je me suis un peu inspiré de L’Année dernière à Marienbad de Alain Resnais, car lui aussi a travaillé sur des gens paralysés dans une atmosphère spectrale proche du rêve.
Quel est le dernier film récent que vous avez vu et qui vous a donné l’impression de découvrir quelque chose de neuf ?
C’était probablement avec Un grand voyage vers la nuit de Bi Gan. Tout le film est extraordinaire mais, bien sûr, la dernière heure tournée en plan séquence et en 3D est vraiment le moment où il trouve quelque chose d’unique. Mélangé à l’atmosphère du film, cela apporte quelque chose qui, selon moi, n’a jamais été vu auparavant.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 10 juin 2020. Un grand merci à Felipe Lage.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |