La Coréenne Lim Oh-jeong était l’une des révélations l’an passé du Festival de Busan avec son premier long métrage Hail to Hell. Dans ce film, des adolescentes harcelées décident de se venger, mais leur plan ne va pas fonctionner comme prévu. Ce drame complexe et ambigu laisse une place précieuse à l’imprévisible. Lim Oh-jeong est l’invitée du Festival du Film Coréen à Paris, dans la section Portrait dédiée aux talents coréens les plus prometteurs. Nous l’avons rencontrée.
Quel a été le point de départ de Hail to Hell ?
J’ai d’abord pensé à des personnages qui se sentiraient si désespérés ou isolés qu’ils voudraient en finir avec la vie, et j’ai commencé à réfléchir au courage qu’il faut pour affronter une telle situation. Personnellement, je traversais une période tout aussi difficile, et j’avais le sentiment que mes contemporains, ou mes proches, ressentaient une anxiété, une solitude et une forme de léthargie similaires. C’est un sentiment d’isolement propre aux relations humaines, mais je pense qu’il y a également quelque chose à chercher dans notre système social.
Je pense qu’il y a un but dans la création de classes sociales et dans le fait d’avoir toujours plus de pouvoir, en stimulant collectivement l’anxiété et le dégoût. J’ai réfléchi à ce que les écoles et les organisations religieuses ont en commun en tant que groupes véhiculant cette violence. Je voulais faire un film qui soit le drame d’une vengeance dont les protagonistes se situeraient en dehors de la logique collective, avec un mélange peut-être étonnant de désir de mort et de désir de vie.
Comment avez-vous appréhendé la mise en scène de cette histoire ?
Comme c’est une histoire basée sur la satire et la métaphore, je pensais qu’elle ressemblerait aux romans de Mark Twain que je lisais enfant. Je voulais utiliser des techniques cinématographiques classiques pour mettre l’accent sur des aventures où s’effacent les traces contemporaines. Visuellement, cela passait par des couleurs vintage, une lumière et des ombres soulignées, l’utilisation d’objectifs anamorphiques et du zoom.
La première chose que j’ai écrite quand j’ai pensé au film, c’est que c’était “une histoire de passage de la nuit au petit matin”. J’ai voulu explorer le moment où je traversais des moments sombres, où se cachaient des choses inquiétantes, excentriques et assez dérangeantes, jusqu’à ce que je rencontre finalement une lumière encore vague mais qui symbolisait une forme d’espoir. La prise de vue, je dirais, au laser, utilisée dans le générique de début, tout comme l’illustration du générique de fin étaient également basés sur ce concept.
Ces techniques ont en commun de montrer différentes nuances de lumière dans l’obscurité noire, comme les feux d’artifices qu’on voit dans le film. Dans la lumière utilisée lors de la scène de tentative de suicide, il y a un symbole de feu, évoquant les volcans comme les enfers – ce qui revient régulièrement durant le film.
Le harcèlement scolaire semble être un sujet récurrent du cinéma coréen. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense qu’il n’y a pas qu’en Corée que l’aliénation par le groupe est un problème. Toutefois, en raison de l’histoire douloureuse de la République de Corée, où le maintien du système et les intérêts de groupe ont pris le pas sur le respect de l’individualité, le problème de l’aliénation et de l’isolement prend un caractère plus dramatique dans notre société. La conformité à la logique collective est une vertu qui est constamment exigée non seulement dans les écoles, mais aussi chez tous les individus sur le lieu de travail, dans toutes les organisations, au niveau de l’État, etc.
Les adolescents, à l’école, sont souvent exposés à la violence pure et simple et poussés à l’extrême, et les gens autour d’eux refusent d’entendre leurs cris, blâmant des problèmes individuels – les plus jeunes seraient à la fois victimes et auteurs de ces violences. En d’autres termes, les écoles sont des microcosmes qui peuvent révéler les contradictions de notre société. C’est un problème endémique dans la société coréenne, et je pense qu’il faut en parler continuellement.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
De mon enfance jusqu’à ce que je sois une jeune adulte, quand je rêvais de films, je pensais à Eric Rohmer, Hou Hsiao-hsien, Robert Altman et Ashgar Farhadi. Je les admire toujours, mais en réfléchissant aux films que je faisais, mes goûts se sont élargis. Je pense que les réalisateurs qui m’ont le plus influencée ces dernières années sont les frères Coen.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours voulu être une artiste, et j’essayais de découvrir quel talent je pouvais avoir. Je m’intéressais à la littérature et à la musique, mais finalement j’ai voulu faire du cinéma, et je me suis spécialisée en photographie parce que je voulais apprendre à filmer. En errant dans les rues pour essayer de trouver une image qui tienne dans le cadre, je pense que je me suis entraînée à “voir différemment”. J’ai cherché des fissures dans la vie quotidienne qui semblent ordinaires, des histoires et des métaphores, et je pense qu’apprendre à “voir différemment” m’a beaucoup aidée.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 30 novembre 2022. Un grand merci à Kim Heeyoung.
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