C’est l’une des révélations de ces dernières années : la Chinoise Li Dongmei signe avec Mama un premier long métrage émouvant, radical et majestueux sur une jeune fille confrontée au deuil. D’inspiration autobiographique, Mama est un trésor qu’on espère voir prochainement diffusé en France. Sélectionnée cette semaine au Festival de Films de Femmes de Créteil dans le cadre d’un focus dédié aux cinéastes chinoises contemporaines, Li Dongmei est notre invitée.
Quel a été le point de départ de Mama ?
Ma mère est morte en couches quand j’avais 12 ans. Ce furent des adieux très soudains entre ma mère et moi, et sa mort a eu un grand impact sur ma vie, pendant longtemps. J’étais tellement choquée et perdue : comment quelqu’un d’aussi vivant peut disparaître complètement et si rapidement. 28 ans plus tard, j’essaie encore de me remettre de ce choc et de cette tristesse. Mes souvenirs reviennent sans cesse au jour où ma mère est décédée.
Un jour, alors que je marchais dans un parc, je me suis dit que je pourrais peut-être écrire ces souvenirs et en faire un film. C’est ainsi que Mama a débuté.
La majorité de Mama est filmée a distance : le chemin des enfants allant à l’école, la famille qui mange, etc… Pourtant, le film est très émouvant, comme si on était au plus près des protagonistes. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette approche visuelle ?
Pour être honnête, je n’ai pas réfléchi à un style visuel en particulier en faisant ce film. Ce que j’ai essayé avant tout, c’était d’être fidèle à mes souvenirs des grandes montagnes, des chemins boueux, des arbres. La façon dont j’ai filmé était avant tout dictée par la façon dont je me souvenais de tout cela.
Dans quelle mesure diriez-vous que la nature et les décors jouent un rôle important dans votre film et son atmosphère ?
J’ai réalisé dès le départ que la nature et les décors seraient aussi importants que les personnages dans cette histoire. Cela fait des années que je ne vis plus là où j’ai tourné Mama. Beaucoup de gens que je connaissais au village en sont partis ou sont morts. Tout le village a changé, mais les montagnes, la petite rivière, les arbres, tout cela est resté absolument identique. Et ils seront là encore longtemps après les gens. Nous naissons, nous vieillissons, et nous mourons. On ressent de la joie et de la peine, mais pour la plupart d’entre nous, notre vie est plus courte que celle d’un arbre. J’ai pris la décision d’exprimer cela en filmant la nature et le décor de Mama.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Mes cinéastes favoris sont Yasujiro Ozu, Robert Bresson et Andrei Tarkovski.
Les films de Yasujiro Ozu me montrent que les détails de la vie de tous les jours sont importants et qu’ils méritent d’être montrés.
Robert Bresson m’a influencée dans la façon de choisir des acteurs. J’aime toujours travailler avec des non-professionnels. Le style de jeu et la façon dont il dirigeait ses acteurs sont de bons exemples de ce que j’aime suivre. Je demande à mes comédiens d’être eux-mêmes et de ne pas jouer, et j’aime la façon dont les émotions dans ses films sont contrôlées.
Quant à Andrei Tarkovski, son monde m’enseigne comment aborder le temps et l’espace. Le temps et l’espace réels sont des questions essentielles pour que le public rentre dans le monde créé par des cinéastes. C’est de là très certainement que viennent ces longues prises dans Mama.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir quelque chose de neuf et d’inédit à l’écran ?
Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas beaucoup d’occasions de regarder la télévision ou d’aller au cinéma, et donc je ne voyais jamais de films hollywoodiens. Ce n’est qu’à mon arrivée à l’école de cinéma que j’ai commencé à regarder beaucoup de grands films. Comme je l’ai mentionné précédemment, les œuvres de Yasujiro Ozu, Robert Bresson, et Andrei Tarkovski. Ils m’ont donné une façon unique de penser au cinéma et au genre de films que je voulais faire. La plupart de leurs œuvres sont très différentes du cinéma mainstream.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 21 septembre 2020. Un grand merci à Brigitta Portier.
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