Entretien avec Kim Mijo

Couronné l’an passé au Festival de Jeonju, Gull est l’honneur cette semaine au Festival New Directors/New Films. Gull raconte l’histoire d’une femme d’âge mûr qui est violée, et qui décide d’abord de taire ce qui lui est arrivé avant finalement de parler. Ce drame dense, nerveux et complexe révèle un talent à suivre. Sa réalisatrice, la Coréenne Kim Mijo, est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Gull ?

Le film a un rapport avec mes expériences personnelles tout au long de ma vie, mais il y a un moment en particulier qui m’a inspirée. Cela remonte à mai 2018. À l’époque, je pensais écrire l’histoire d’une mère. Un jour, je marchais le long de la rivière à midi quand j’ai vu un jeune homme suivre de près une femme d’âge moyen, qui ressemblait à ma mère. J’ai ressenti une certaine angoisse et j’ai gardé un œil sur eux pendant un certain temps. Cette expérience m’a immédiatement inspirée. J’ai été harcelée sexuellement dans le métro, dans la rue et dans d’autres endroits depuis mon plus jeune âge, alors la vue de cet homme suivant cette femme a attiré mon attention.

J’ai spontanément pensé à ma mère tout en les regardant longuement. Je me suis demandé ce que je ferais si une chose pareille lui arrivait. Au début, j’ai conçu l’intrigue du point de vue de la fille, dont la mère a été violée. Mais ensuite, je suis devenue plus curieuse au sujet de la voix O-Bok au lieu de la perspective de la fille ; ainsi le personnage clé de l’histoire est devenu O-Bok.

Comment avez-vous envisagé le style visuel de ce film et la mise en scène de cette histoire aussi dure et dramatique ?

Ce qui m’importait le plus, c’était de savoir comment je pouvais capturer le tourbillon d’émotions d’O-Bok dans le film. Pour trouver la réponse, je me suis inspirée de films coréens des années 1970 et 1980. Les films de cette époque étaient impressionnants en raison de leurs émotions excessives uniques et du développement brut des histoires. Par-dessus tout, j’ai adoré l’énergie et l’esprit dans ces films.

J’ai défini quelques règles de tournage afin que celui-ci se déroule efficacement, notamment d’un point de vue économique. Tout d’abord, à l’exception de cas exceptionnels, ne pas déplacer la caméra. Deuxièmement, autoriser jusqu’à 3 plans seulement par scène. Troisièmement, essayer d’éviter les éclairages artificiels. Ces règles devaient nous autoriser plus de liberté dans un planning et un budget limités. Je souhaitais également privilégier une mise en scène statique parce qu’elle représente le contraire de cette histoire dramatique. J’étais curieuse de savoir si la discordance entre les émotions du personnage et le mouvement de la caméra pouvait créer une forme d’étrangeté. En outre, je voulais observer distinctement ces gens qui luttent en ayant chacun leurs propres raisons, et examiner le monde autour d’O-Bok, de sa maison au marché.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le choix de ce titre ?

Il y a plusieurs raisons, mais tout d’abord, j’adore La Mouette d’Anton Tchekhov. J’ai toujours eu envie de donner ce titre à l’un de mes films. Les mouettes volent haut comme si elles pouvaient s’envoler n’importe où, à n’importe quel moment, mais finalement elles ne peuvent pas quitter la terre. Je voyais O-Bok comme une mouette. Elle veut s’envoler loin de sa réalité horrible et dure, mais O-Bok doit garder les pieds sur terre, celle de la réalité. Je ne voulais pas simplement raconter l’histoire d’une victime d’agression sexuelle à travers ce film. Je voulais qu’O-Bok, une femme d’âge moyen, une mère et un pilier de sa famille, se tienne fermement sur ses deux pieds et finisse par vivre et survivre sur terre, alors qu’on a enfreint sa dignité.

Quel.l.es sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Plutôt que de citer un réalisateur en particulier, j’aime surtout les films. Il y a tellement de réalisateurs que j’aime, par conséquent je suis influencée par des films très divers. Comme je l’ai mentionné plus haut, les films que j’ai explorés quand je préparais Gull étaient des films coréens des années 1970 et 1980. Avant tout, les films qui m’ont le plus inspirée sont Declaration of Idiot de Lee Jang-Ho, Yeong-Ja’s Heydays de Kim Ho-Sun et People in the Slum de Bae Chang-Ho. En outre, bien qu’ils ne soient pas des années 1970 et 1980, je voulais dépeindre la texture rugueuse et l’atmosphère unique de films tels que A Short Love Affair de Jang Sun-Woo et A Day Off de Lee Man-Hee. Par ailleurs, j’ai également été profondément impressionnée par des films comme La Source thermale d’Akitsu de Kiju Yoshida, Sonatine de Takeshi Kitano, Au travers des oliviers d’Abbas Kiarostami et Mad Max de George Miller.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

C’était Ne coupez pas ! de Shinichiro Ueda. Le public ne savait pas à quoi s’attendre parce que la narration était si imprévisible. J’aime aussi la façon dont il a été divisé en deux parties et son sens de l’humour particulier. Mais surtout, l’énergie vivifiante du film, avec plein d’esprit, m’a impressionnée. Et malgré le fait que c’est un film de zombies plein de sang, personne n’est mort ou blessé : le film se termine par des sourires, ça m’a beaucoup charmée.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 2 février 2021. Un grand merci à Jin Park. Source portrait.

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