Oleg a fait partie des découvertes de la dernière Quinzaine des réalisateurs. Réalisé par le Letton Juris Kursietis, le film raconte l’histoire d’un jeune homme sans papier qui se retrouve prisonnier d’un réseau mafieux. Le cinéaste nous en dit plus sur ce passionnant long métrage qui sort le mercredi 30 octobre en salles.
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Qu’est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?
L’inspiration m’est venue d’un article dans un magazine qui décrivait le sort de ces nouveaux esclaves. L’article se focalisait sur le cas d’un jeune homme qui était non-citoyen, une catégorie bien particulière de la population lettonne. Il s’agit de Russes qui ont été amenés ici en Lettonie par le régime soviétique, et ne sont jamais repartis. Aujourd’hui ils ne possèdent pas la nationalité lettonne, ils ne connaissent pas la langue et vivent en autarcie dans leur communauté. C’est une situation d’autant plus inacceptable que la classe politique les utilise pour diviser notre société. Ils se font autant exploiter par les pro-Russes que par les nationalistes, et au final c’est la Lettonie entière qui souffre. Tout le monde est au courant de leur situation, mais quasiment rien n’est fait pour y remédier. Ça m’a paru une raison amplement suffisante pour en faire un film. Raconter une histoire demande une telle énergie, il faut que les raisons qui poussent à faire un film soient impossibles à ignorer.
La caméra est tout le temps proche d’Oleg, comme si elle volait autour de sa tête. Comment et pourquoi avez-vous recherché cet effet particulier?
Je n’ai utilisé de caméra fixe dans aucun de mes films. Ma façon de travailler m’impose que la caméra soit libre. C’est d’ailleurs également pour cela que le travaille avec Bogumił Godfrejów (chef-opérateur d’Oleg, ndlr), qui est un maître en la matière. L’idée que la caméra devait voler autour d’Oleg nous est venue dès le départ. De même que le format carré de l’image, qui permet de rester toujours au plus près de lui. Quand on se rapproche de lui pour un gros plan, il n’y a alors plus rien d’autre que son visage à l’image. Bogumił a obtenu cet effet en restaurant une superbe caméra Cooke SIII 18mm, c’est d’ailleurs le seul objectif que nous ayons utilisé de tout le film. Il est également parvenu à rendre son Arri Alexa si compacte qu’on pouvait la faire rentrer dans les endroits les plus exigus.
Outre le thème de la spiritualité qui est ainsi souligné, ce procédé donne aussi l’impression très immersive d’un film en mouvement tout autour de nous.
Toutes mes scènes sont tournées en une seule prise, on n’utilise aucun effet supplémentaire, et c’est à la caméra de saisir tout ce qui se déroule. Chaque prise est ainsi différente, et c’est ce qui rend l’étape du montage aussi passionnante. Si j’ai tenu à travailler avec Bogumił dès mon premier film, c’est qu’il est capable de lire dans mes pensées. Bon, peut-être pas toutes, mais au moins il savait à quoi je voulais que le film ressemble. Je l’ai invité à participer à la création du film le plus tôt possible, avant même d’avoir un scénario. Nous avons énormément parlé du récit, des personnages, des thèmes abordés. Comme moi, c’est un perfectionniste, et nous croyons tout le deux que le monde peut devenir meilleur. Ce film, c’est en quelque sorte une réponse à tout ce qui ne va pas dans le monde, d’après nous.
Oleg est un film claustrophobe qui paradoxalement, laisse beaucoup de place à l’espoir. A quel moment saviez-vous que vous aviez atteint votre équilibre idéal entre ces deux pôles?
Je fais des films de façon très instinctive. Je ne suis vraiment pas du genre à prendre des notes sur mon scénario telles que « faire un gros plan à ce moment-là » ou « filmer cette scène de loin ». Tout provient du travail commun que nous faisons, les acteurs, le chef-opérateur et moi. Je ne veux pas faire de répétition, je demande beaucoup aux acteurs d’improviser. Si l’équilibre dont vous parlez est présent à l’écran pour vous, cela veut dire qu’il est était présent dès le départ à l’intérieur de chaque membre de l’équipe.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Ma première véritable influence a été Martin Scorsese. Quand j’étais adolescent, j’ai voulu tout lire sur sa vie pour savoir comment il était devenu réalisateur, et je me suis beaucoup identifié à lui. Dans mes films j’ai fait plusieurs fois référence à son tout premier long métrage, Who’s That Knocking at My Door. De façon générale, je suis fan des nouvelles vagues, que ce soit celle du cinéma italien des années 50, français des années 60, ou américain des années 70. Ce sont des moments où le cinéma a pris d’un seul coup des années lumières d’avance, souvent parce qu’il était auparavant impossible de tourner. Cela montre que l’adversité est aussi une opportunité.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 13 mai 2019. Un grand merci à Mathilde Cellier.
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