Black Medusa des Tunisiens ismaël et Youssef Chebbi raconte l’histoire d’une Méduse vengeresse à l’heure de #MeToo, plongée dans la mystérieuse nuit noire de Tunis. Dévoilé au Festival de Rotterdam, ce drame qui emprunte au cinéma de genre est désormais disponible sur Mubi – et nous le recommandons. Nous avons rencontré l’un de ses réalisateurs, ismaël.
Quel a été le point de départ de Black Medusa ?
Comme toujours, le film se construit à partir d’une image qui naît et grandit dans mon esprit. Il y a donc une image que je vois et qui m’habite et m’obsède. Pour Black Medusa, c’est une image qui est au tout début du film et où l’on voit le personnage de Nada. J’ai eu cette image en tête en même temps qu’on discutait avec mon coréalisateur Youssef Chebbi (avec qui j’ai déjà travaillé sur un documentaire appelé Babylon, Grand Prix au Fid Marseille en 2012), sur notre désir commun de faire un film rapidement avec peu de moyens et peu de personnes. C’était début août 2019.
Je me suis donc mis à rédiger un court scénario début août et je l’ai passé à Youssef. On a travaillé ensemble sur une version finale et on a décidé de tourner le film dans la foulée. Deux mois et demi après on entamait le tournage qui n’a duré que 12 jours et où on était moins de 15 personnes sur le plateau. De façon organique si je puis dire, toute l’équipe a été emportée par un désir viscéral et violent, comme le personnage de Nada. D’une certaine manière, l’énergie de Nada nous a contaminés et guidés.
A quel stade du projet avez-vous décidé de tourner le film en noir & blanc et pouvez-vous nous parler de ce choix esthétique ?
Dès le départ, l’image que j’ai vue était en noir et blanc. Et puis il y avait aussi le désir de filmer Tunis en noir et blanc depuis des années maintenant. Une ville qui n’a pratiquement jamais été filmée en noir et blanc. Il faut dire aussi que j’ai un attrait prononcé pour le noir et blanc et les formats d’images désuets comme le 4/3 (qui l’est moins ces dernières années et revient un peu en vogue) ou le 1.66 avec lequel nous avons filmé Black Medusa. D’ailleurs, j’ai toujours rêvé en noir et blanc.
Le noir et blanc possède un côté brut et tranchant qui convient à l’univers du film. Un aspect métallique comme la lame d’un couteau. Nada est tout le temps sur la lame d’un rasoir entre l’ombre et la lumière, il fallait rendre ça visuellement et nous avons donc opté avec notre directeur de la photo Imed Aissaoui d’éclairer en low-key, technique utilisée dans les films noirs, qui sont par ailleurs une inspiration importante pour le film.
En quoi selon vous le cinéma de genre vous a-t-il permis d’avoir une perspective politique particulière dans Black Medusa ?
En effet, l’envie première a été de faire un film sur une anti-héroïne, ou même une anti-super-héroïne, libre et marginale. Nous nous sommes mis à faire le film de la même façon, libre et marginale. Convoquer le cinéma de genre dans ce contexte a été pour nous l’occasion de le malmener quelque peu, ou disons, d’en renverser les schémas, de le regarder un travers un prisme inédit, le contextualiser dans un espace et un temps inhabituels. Par exemple, le film noir. Habituellement il s‘agit de figures virilistes pour qui la femme fatale n’est qu’un moyen pour arriver à sa rédemption. Ou dans le cas du rape and revenge, on assiste généralement à la transformation de la victime en bourreau avec pas mal de relents de morale chrétienne.
Or, ce qui est important à souligner dans le cas de Black Medusa, c’est qu’il n’obéit pas, pour le moins que l’on puisse dire, à ces schèmes, mais les subvertit en quelque sorte. Il n’y aucun point de vue moralisant ou psychologisant. Nada est un être singulier au-delà du bien et du mal. L’inquiétude ou l’intranquillité sous-jacentes dans le film viennent de ce parti-pris de mise-en-scène : troubler la réalité en troublant les codes du cinéma.
Quel.le.s sont vos cinéastes préféré.e.s et/ou celles et ceux qui vous inspirent ?
Il y en a tellement. Mais si je ne devais en citer qu’un, je n’hésiterai pas : Antonioni.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir quelque chose de neuf, de voir quelque chose d’inédit à l’écran ?
An Elephant Sitting Still de Hu Bo. C’est le premier titre récent qui me vient instantanément à l’esprit.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 6 février 2021. Crédit portrait : Fakhri El Ghezal.
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