Primé à Annecy, My Favorite War est un habile et audacieux mélange d’animation et de documentaire. Ce film d’une richesse remarquable trouve la distance parfaite pour traiter son sujet : celui d’une jeune Lettone qui grandit en pleine guerre froide sous un puissant régime autoritaire. My Favorite War est sort ce mercredi 20 avril et nous vous le recommandons. Rencontre avec sa réalisatrice, Ilze Burkovska Jacobsen.
Dans quelle mesure diriez-vous que l’animation est un bon outil pour traiter de la réalité ?
Depuis mes jeunes années à l’école, lorsque nous devions vénérer l’Armée rouge comme le principal et le seul porteur de paix au monde, j’ai eu l’envie et la motivation de raconter l’histoire des civils ordinaires qui se sont retrouvés impuissants face à l’armée. Alors que ce sont les civils qui, finalement, nourrissent et financent l’armée. Ainsi, en 2009, j’ai décidé que je devais raconter mon histoire de jeune fille qui a grandi dans une région où la Seconde Guerre Mondiale a été enterrée dans le sol, même 40 ans après la guerre. Tant physiquement que moralement.
L’épisode où les autorités de ma ville ont pris la décision de déterrer les soldats du cimetière près de mon école, avec tous ces squelettes qui remontent à la surface, c’est une scène réelle. Et celle-ci m’a donné le courage de dire que j’ai vécu des choses suffisamment étranges pour en faire un film. Il n’existe aucune image de tout cela !
Les archives visuelles de cette époque sont pauvres et ne décrivent pas la réalité telle que je m’en souviens. Même les propres images de nos films familiaux sont médiocres. En fait, la clef pour entrer dans cette atmosphère de raideur soviétique et de peur dans nos os, c’était de raconter cette histoire à l’aide de l’animation. Les archives montrent des gens heureux, mais je voulais faire un documentaire où l’on ressent la même chose qu’il y a 35 ans. Je voulais que le spectateur se dise pendant le film : « Je veux sortir de cet État – l’Union soviétique ». Et pour cela, l’animation était la meilleure option à mes yeux.
Le design des personnages est, à première vue, charmant et mignon, mais il y a aussi une étrange tension sous la surface – je pense par exemple aux yeux des protagonistes. Comment avez-vous abordé ce traitement visuel pour raconter votre histoire ?
J’ai décidé de travailler avec un célèbre artiste norvégien, Svein Nyhus, qui était concept artist sur le film. Son style est à la fois enfantin et un peu effrayant. Il dessine des personnages avec des yeux comme dans le film. Nous avons testé quelques dessins avec des yeux « normaux » et des pupilles, mais ça faisait trop Disney pour moi. J’ai donc relevé le défi et décidé que nous resterions fidèles aux yeux de Svein, en pensant que cela donnerait un relief particulier à notre film.
Ce n’était pas facile pour les animateurs. C’est difficile de créer des émotions sur les visages avec de tels yeux, mais je suis très reconnaissant à toute l’équipe qui a beaucoup travaillé et avec succès. C’est ce que le peuple soviétique a ressenti : si vous êtes trop ouvert, cela pourrait être dangereux pour vous. Il fallait cacher ses pensées derrière ses yeux comme derrière un grand couvercle.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur le choix de ce titre et de cette guerre « favorite » ?
Pour les dirigeants de l’Union soviétique, il était nécessaire de construire une identité commune dans cet immense État multinational. Donc, le moyen le plus simple était de constituer une religion au sortir de la Seconde Guerre Mondiale pour dire aux gens que nous sommes les bons, les seuls bons et que nous sommes les sauveurs de la planète. L’État nous a dit deux choses contradictoires en même temps – que nous sommes les plus forts et les plus heureux du monde, mais en même temps que nous devions craindre les méchants capitalistes.
Ainsi, le lavage de cerveau consistant à raconter que la guerre est une bonne chose était basé à la fois sur le mensonge et la peur. Je voulais provoquer le spectateur avec ce titre. Qu’il souhaite naturellement dire le contraire et qu’il aille voir le film. Parce que vous ne pouvez pas être d’accord avec l’affirmation selon laquelle une guerre peut être désignée comme « favorite ». Mais à la 5ème minute du film, vous avez également une explication très documentaire, sur ce qu’était ma guerre préférée quand j’avais 5 ans.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
My Favorite War tire beaucoup de son inspiration dans Persépolis de Marjane Satrapi. J’adore Hayao Miyazaki et le réalisateur russe Iouri Norstein. J’aurais aimé avoir le sens de l’humour de Joanna Quinn, elle est juste adorable ! Puis, en dehors de l’animation – les films de Miloš Forman ont eu un grand impact sur moi dans ma jeunesse, tandis que les premiers films de François Truffaut ont été comme des étoiles directrices pendant mes années d’études. Tarkovski est un génie qui se tient en dehors du temps et de l’espace. Ces dernières années, je suis tombée amoureuse du film de Thomas Vinterberg, Drunk, tandis que J’ai perdu mon corps de Jeremy Clapin a adouci mon âme et m’a rendue heureuse.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je ne sais pas si J’ai perdu mon corps correspond à votre question, mais on est toujours reconnaissant lorsqu’un film vous touche. Comme vraie surprise, j’ai découvert la réalisatrice portugaise Alexandra Ramires et son court métrage Lié (Elo). J’ai été surprise également par Licorice Pizza, même si Paul Thomas Anderson n’est pas un jeune talent, mais sa capacité à combiner des aspects sombres et comiques à la fois est si brillante que je me dois de le mentionner ici. En tant que conteurs, on est dans une recherche perpétuelle : comment trouver un angle inédit pour décrire l’âme humaine. Je suis donc très heureuse quand certains films sont comme un rayon de lumière neuf sur un paysage connu.
Entretien réalisé le 20 avril 2022. Un grand merci à Diana Velasco et Claire Viroulaud.
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