Entretien avec Guy Lodge

Journaliste entre autres pour Variety, le Britannique Guy Lodge est ce genre de critique de cinéma aussi à l’aise pour vous parler de Krzysztof Kieślowski que du film Burlesque. Passionné, éclectique et délicieusement witty, il est l’une des meilleures plumes cinéphiles actuelles. Rencontre.

 

Vous souvenez-vous du premier film qui ait eu un grand impact sur vous, pas seulement comme enfant mais comme cinéphile ?

Eh bien, à la fois comme enfant et cinéphile, il s’agit probablement de Trois couleurs : Rouge de Krzysztof Kieślowski. Mes parents m’ont emmené le voir alors que j’avais 11 ans – c’était le premier film en langue étrangère que j’ai vu au cinéma, et j’ai été subjugué par son énergie et son imagerie inhabituelles.

Qu’est-ce qui vous a amené à la critique de film ?

Très jeune déjà je tenais comme un journal dans lequel j’écrivais des critiques de tous films que je voyais. Comme le cinéma et la création littéraire sont restés mes deux principaux intérêts en grandissant, la critique s’est imposée comme un débouché naturel pour ces deux intérêts – et lire des critiques professionnels m’a inspiré et donné envie d’essayer moi-même. Nous vivions aux États-Unis à l’époque et mes parents se sont abonnés au New York Times ; c’est là que j’ai commencé à lire des critiques. Adulte, néanmoins, je me suis tourné vers la critique cinématographique de façon professionnelle d’abord comme une activité secondaire pour gagner un peu d’argent alors que j’étais scénariste freelance – à ma grande surprise ça a décollé et la critique est devenue mon métier.

Y a-t-il des critiques qui vous ont inspiré, ou aidé à être le critique que vous êtes aujourd’hui ?

J’ai grandi principalement en Afrique du Sud, avant l’heure d’internet, par conséquent j’étais limité à la critique cinématographique locale. Le critique principal à l’époque s’appelait Barry Ronge – c’est un peu le Roger Ebert sud-africain. Je le lisais régulièrement, j’étais souvent en désaccord avec lui, et j’ai probablement beaucoup appris sur l’écriture en observant son style que je qualifierais de très souple. Plus tard, j’ai été abonné à Sight & Sound et quand j’ai commencé à aller à l’université, j’ai eu accès à un éventail plus large et plus international de voix. Aujourd’hui, je suis inspiré par le travail de critiques tels que Stephanie Zacharek, Justin Chang et Manohla Dargis.

Selon vous, quelles sont les qualités essentielles pour être un bon critique ?

D’abord et par-dessus tout, il faut savoir bien écrire ! Vous pouvez en savoir beaucoup sur le cinéma et avoir un point de vue intéressant, mais si votre style est insipide ou bâclé, ça ne sert à rien. Tous les meilleurs critiques sont habiles, inventifs et spirituels lorsqu’ils écrivent : ce doit être un plaisir de les lire même si vous n’êtes pas particulièrement intéressé par le film dont ils parlent. Par ailleurs, avoir de bonnes connaissances d’histoire du cinéma est utile, même si ça n’est pas aussi essentiel que la capacité à vraiment voir et interpréter un film, ainsi qu’évaluer les qualités qui lui sont propres. Bien sûr, vous devez vraiment aimer le cinéma, même si je pense que les meilleurs critiques ont un amour équivalent pour d’autres formes d’art : une appréciation des arts plastiques, de la littérature et de la musique a sa part dans toute bonne critique de film.

La question de la diversité est l’un des sujets récurrents dans les sélections de festivals. Mais, à vos yeux, est-ce que le manque de diversité parmi les critiques influe de façon problématique sur la manière dont certains films (des films de réalisatrices, des films queer, des films non-occidentaux ou des films de genre) sont vus et critiqués ?

Peut-être pas à un niveau individuel – tous les meilleurs critiques que je connais s’intéressent avec enthousiasme aux films qui s’éloignent de leur propre expérience. Mais si l’on prend du recul et qu’on observe plus attentivement le déséquilibre démographique parmi les critiques, il est clair que les voix précieuses de minorités ne sont pas suffisamment représentées et écoutées.  Par conséquent, les types de films que vous mentionnez ne bénéficient pas comme ils le devraient d’un vaste impact critique. Cela peut aller dans deux sens : certains films pourraient recevoir des critiques plus clairvoyantes ou plus dures de la part de journalistes plus familiers avec le contexte social abordé, quand d’autres seront plus généreusement défendus que par la majorité mâle, hétéro et blanche.

Votre compte Twitter est très suivi. Selon vous, quelles sont l’importance et les limites des réseaux sociaux dans le travail d’un critique ?

Je ne sais pas si c’est si important : certains excellents critiques s’en sortent très bien sans les réseaux sociaux, et sont d’ailleurs peut-être beaucoup plus productif grâce à cela !  Mais je trouve pour ma part que le dialogue immédiat que les réseaux sociaux ouvrent entre les critiques et les lecteurs peut être éclairant : les lecteurs ont une meilleure compréhension de notre processus tandis que les critiques ont la possibilité d’être davantage à l’écoute du sentiment du public. Si vous trouvez que Twitter a ses limites, c’est probablement parce que Twitter n’est pas fait pour vous – je n’ai jamais eu aucune méfiance à l’idée de partager mes opinions sur cette plateforme. Tant que les tweets ne sont pas traités comme des critiques (une erreur que certains lecteurs ou attachés de presse peuvent rapidement faire), je pense que Twitter fonctionne bien dans sa façon d’étendre la conversation au-delà de la critique elle-même.

En parlant de réseaux sociaux, maintenant que tout le monde peut plus ou moins faire entendre sa voix sur les films, quelle rôle la critique de film devrait jouer pour garder sa pertinence ?

J’imagine que cela dépend de ce que vous entendez par « pertinence » au sujet de la critique de film. Si une personne qui n’est pas payée pour ses opinions commence à tweeter de manière réfléchie et perspicace, est-ce que sa voix n’est pas aussi importante ? Je dirais qu’elle l’est. Je pense que Twitter continue de rendre la critique pertinente en s’assurant que a critique n’est pas limitée aux pros dans leur tour d’ivoire.

Quels festivals figurent sur votre liste des festivals immanquables ?

Je ne sais pas si je qualifierais un festival d’immanquable, puisque différents critiques travaillent dans différents secteurs, tandis que se rendre à un festival est de toute façon un privilège qu’aucun critique ne peut considérer comme acquis. Je connais de merveilleux critiques qui n’en font pas beaucoup, ou n’ont pas l’opportunité d’aller en festival car ils se concentrent avant tout sur les sorties hebdomadaires – et ils ne perdent donc rien à ne pas fréquenter les festivals. En ce qui me concerne, en tant que critique européen, le « big 3 » constitué par Cannes, Venise et Berlin est là où j’effectue mon travail le plus intensif de l’année : je ne peux pas me permettre de les manquer.

Quels sont vos cinéastes favoris ?

Parmi ceux en activité : Claire Denis, Paul Thomas Anderson, Andrea Arnold, Lynne Ramsay, Wong Kar-Wai : ils sont trop nombreux à citer. Parmi les cinéastes du passé : Stanley Kubrick, George Cukor, Ingmar Bergman, François Truffaut, Powell & Pressburger – trop nombreux là encore.

Quels sont vos plaisirs coupables favoris au cinéma ?

Je ne crois pas vraiment à l’expression « plaisir coupable » – je ne me sens jamais coupable d’apprécier un film quel qu’il soit s’il fonctionne ! J’adore le film Burlesque par exemple, que j’ai vu de nombreuses fois et j’imagine que pour certains ce film pourrait correspondre à la définition. Mais mon amour pour ce film est sincère : je pense que c’est un divertissement éblouissant, généreux et plein d’esprit.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent ?

A Cannes, j’ai vu Long Day’s Journey into Night de Bi Gan, et même si nom ne m’était pas inconnu (j’avais vu et admiré son précédent film, Kaili Blues), j’ai eu le sentiment pour la première fois en le regardant que j’étais en présence d’un grand génie. Je n’ai jamais vu la 3D utilisée avec cet effet de rêverie : je suis à nouveau extrêmement curieux de tout ce que Bi Gan nous montrera par la suite.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 2 août 2018.

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