Premier long métrage de la Britannique Georgia Oakley, Blue Jean était l’une des belles découvertes de la section Giornate à la Mostra de Venise. Ce récit d’une prof dans le placard, dans l’Angleterre morose et réactionnaire de Thatcher, offre un portrait complexe (servi par la brillante Rosy McEwen, vue l’an passé dans Vesper Chronicles) et pose de passionnantes questions sur la transmission queer. Nous avons rencontré Georgia Oakley qui nous présente son film, visible en salles dès le 19 avril.
Quel a été le point de départ de Blue Jean ?
Ce qui m’intéressait, c’était de raconter une histoire sur la performance de soi. Sur la façon dont nous portons différents masques dans la vie, en fonction de notre environnement. Nous pouvons être une personne chez nous, et une autre avec nos amis, une autre encore avec notre famille, ou sur notre lieu de travail. Lorsque je suis tombée sur un article traitant de la Section 28 (un amendement britannique de 1988 indiquant que l’autorité locale ne devait pas « promouvoir » intentionnellement l’homosexualité ou publier de documents dans l’intention de « promouvoir » l’homosexualité, ndlr), j’ai commencé à imaginer ce que pouvait être la vie d’un.e enseignant.e gay travaillant dans ce contexte.
Comment avez-vous utilisé la photographie pour traduire les différents états de votre personnage principal et de sa vie intérieure ?
Victor Seguin et moi avons travaillé ensemble pour créer une sorte de vérité subtilement exacerbée. Nous avons tourné en 16 mm, ce qui permet une configuration de caméra plus agile. Une grande partie de la mise en scène était détaillée dans le scénario, que nous voyagions avec Jean ou que nous la regardions pensive ou sur son canapé, etc. Victor et moi avons donc passé beaucoup de temps à parler des palettes de couleurs, de l’éclairage et de l’utilisation de fréquences d’images variables pour souligner la tourmente intérieure de Jean.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec Soraya, notre décoratrice, pour nous assurer qu’il y avait un langage cohérent derrière et devant la caméra. Victor a rassemblé ce document étonnant avec toutes nos références, diagrammes et idées d’éclairage, le tout avec des notes codées par couleur pour les différents départements. C’est un prodige et il m’a émerveillée.
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec votre actrice Rosy McEwen sur le personnage de Jean ?
Rosy avait une compréhension innée de Jean, de sa situation difficile et de la façon de dépeindre son conflit interne. C’était évident dès la première cassette qu’elle a envoyée, ce qui m’a vraiment détendue à l’idée de travailler avec elle et d’emmener Jean de la page à l’écran. J’aime travailler en collaboration avec les acteurs, donc nous avons construit le personnage ensemble à travers des recherches, des discussions et des répétitions. Rosy a été castée plus d’un an avant le tournage du film (à cause du covid), donc j’ai pu avoir de nombreuses discussions avec elle sur mes espoirs et mes projets pour le personnage durant une période plus longue que prévu, ce qui a bien fonctionné pour nous deux. Lors des répétitions, nous avons passé la majeure partie de notre temps à travailler sur les différences entre Jean à l’école, contre Jean à la maison, contre Jean avec Viv ou sa sœur.
Nous avons également passé une grande partie à répéter avec Kerrie (qui joue Viv), et à travailler sur la création d’une vraie relation entre les deux actrices – ce qui leur est venu très naturellement. Il était important pour moi que le public puisse croire au couple de Jean et Viv malgré leurs différences, donc j’avais besoin de caster deux actrices qui seraient capables de construire une intimité authentique en peu de temps.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspire ?
Toutes celles et ceux qui me connaissent savent à quel point je suis un fan de Joanna Hogg. The Souvenir Part I est un classique moderne que je pourrais voir et revoir. Joanna nous a d’ailleurs permis d’utiliser son film de fins d’études de 1987 au second plan d’une scène dans Blue Jean, et forcément ça m’a rendue très heureuse ! J’adore aussi les films de Kelly Reichardt et Lynne Ramsay. Le court métrage Gasman de Lynne Ramsay est un chef d’œuvre. Mais le film qui m’a convaincue de mon désir de devenir cinéaste, c’est Tomboy de Céline Sciamma. La profondeur et la sensibilité qu’elle parvient à transmettre au sujet de l’expérience queer sont sans pareilles.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
J’ai été totalement absorbée par la performance d’Anamaria Vartolomei dans L’Evenement. Il y a certains moments du film que j’ai dû regarder les mains sur les yeux. Ce que montre le film n’est pas facile à voir, mais j’ai été captivée par le visage d’Anamaria tout au long du récit. C’est une chose difficile à réaliser lors du tournage avec ce format d’image, mais je me sentais là au plus près d’elle.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 7 septembre 2022.
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