C’est l’un des sommets de ce Festival de Cannes : dans son court métrage Maria Schneider, 1983, l’Américaine Elisabeth Subrin reconstitue une interview donnée par Schneider à l’émission Cinéma, Cinémas. Trois actrices (Manal Issa, Aïssa Maïga et Isabel Sandoval) l’interprètent à tour de rôle. Le résultat est à la fois expérimental et émouvant, utilisant un dispositif qui traite avec finesse de luttes d’hier, d’aujourd’hui, et de leur transversalité. Elisabeth Subrin nous en dit davantage sur ce film passionnant sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs.
Sur votre blog Who Cares About Actresses, vous posez cette questions : « quelle est la relation entre jouer, performer et être ? ». Est-ce que vous vouliez explorer cela dans Maria Schneider, 1983 ?
Oui, complètement. Je pense que la plupart d’entre nous passons beaucoup de temps à performer une version de nous plutôt qu’à être nous-mêmes. Je m’intéresse à la performance en tant que métaphore de la façon dont nous gérons nos propres vulnérabilités, les différentes stratégies que nous utilisons pour nous protéger.
Dans Maria Schneider, 1983, Maria est filmée pour une émission de télévision dont elle savait évidemment qu’elle serait vue par un public. Schneider était notoirement secrète et résistante vis-à-vis des journalistes, en particulier après Le Dernier tango à Paris, mais elle détestait aussi l’inauthenticité. Plus j’ai regardé l’interview originale, plus j’étais fascinée par la multiplicité des changements subtils dans ses émotions et son attitude, et la gamme de tactiques qu’elle utilise pour se protéger de la journaliste, tout en étant parfois assez franche. C’est une performance extraordinaire.
Comment avez-vous choisi les différentes actrices de Maria Schneider, 1983 ?
L’une des choses que j’admire le plus chez Maria, c’est sa critique prémonitoire du sexisme dans l’industrie cinématographique et son courage d’en parler alors que personne d’autre ne le faisait. Je voulais travailler avec des actrices exceptionnelles, bien sûr, mais je cherchais aussi des actrices qui pouvaient apporter leurs propres antécédents et expériences au matériau, et qui se sont également exprimées publiquement sur les questions politiques et sociales qui les concernent, dans l’industrie cinématographique et au-delà. Manal Issa, Aïssa Maïga et Isabel Sandoval sont toutes des actrices (et réalisatrices) très fortes, courageuses, qui se font entendre et qui utilisent leurs films et leurs plateformes pour remédier aux injustices.
Dans quelle mesure diriez-vous que votre film traite autant du cinéma hier que du cinéma aujourd’hui ?
C’est intéressant que vous posiez cette question, parce que mon travail explore presque toujours la relation entre le passé et le présent. Maria Schneider, 1983 oscille entre différentes périodes, tant dans son dispositif formel que dans son contenu. Le film s’engage littéralement dans le cinéma du passé en recréant une interview d’une actrice surtout connue pour son travail dans les années 1970, dans laquelle elle est interviewée pour une émission cinéphile française des années 1980, Cinéma Cinémas. En outre, le film aborde l’un des films européens les plus controversés des années 1970, Le Dernier Tango à Paris de Bertolucci, et fait allusion avec révérence à un autre, Profession : reporter d’Antonioni.
L’une des manières qu’a mon film de parler du cinéma d’aujourd’hui, c’est qu’il implique que de nombreux problèmes au sein de l’industrie cinématographique continuent de nos jours. Mais je pense que vous posez davantage cette question sur la façon dont mon travail s’intègre formellement dans le cinéma contemporain, n’est-ce pas ? Je crois que c’est mon travail en tant que réalisatrice et artiste de créer de nouvelles façons de voir, de trouver de nouveaux dispositifs et de nouvelles approches de ce médium. En dialoguant avec d’autres cinéastes contemporains qui s’intéressent aussi à la biographie expérimentale, aux formes hybrides, etc., je me rends compte que Maria Schneider, 1983 fait quelque chose que je n’ai encore jamais vu dans un autre film. De cette façon, ce n’est pas tant qu’il traite du cinéma d’aujourd’hui, mais plutôt qu’il le fait.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Si je prends en compte toute leur filmographie, je dirais que les cinéastes qui m’inspirent le plus sont Lucrecia Martel, Todd Haynes, Steve McQueen et bien sûr Chantal Akerman. Mais la plupart du temps lorsque je cherche l’inspiration, je pense à des films en particulier et parfois même juste à des scènes précises.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je sais déjà que c’est ce que je ressentirai quand je verrai le premier long métrage de la réalisatrice chilienne Manuela Martelli, 1976, qui est présenté en première mondiale à la Quinzaine des Réalisateurs cette semaine. J’aime les films qui mettent en scène un conflit émotionnel et intime sur fond de moment historique complexe. Manuela était mon élève il y a dix ans, et elle a déjà eu une carrière réussie en tant qu’actrice. Ses courts métrages étaient si forts, si sophistiqués émotionnellement, je n’ai aucun doute que ce sera un film extraordinaire et j’ai hâte de le voir.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 23 mai 2022. Un grand merci à Chloé Lorenzi.
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