Festival de Clermont-Ferrand | Entretien avec Clément Pérot

L’élégant Dans la tête un orage se déroule au pied d’une cité, en banlieue de Calais. Ce court métrage trouve un regard singulier pour raconter un lieu et ses habitants, lors d’un été ennuyeux. Le cinéaste fait également un usage remarquable du son dans ce documentaire dévoilé à la Quinzaine des Cinéastes et en compétition cette semaine au Festival de Clermont-Ferrand. Le résultat est à la fois minimaliste et ample, et révèle une sensibilité à suivre. Nous avons rencontré son jeune réalisateur, le Français Clément Pérot.


Quel a été le point de départ de Dans la tête un orage ?

Il s’agit premièrement d’une rencontre, avec un lieu et ses jeunes habitants. Il y a trois ans, en rendant visite à des proches durant l’été, j’ai traversé le quartier du Fort-Nieulay, en périphérie de Calais. C’est un ancien quartier ouvrier construit sur le modèle des cités HLM, fait d’une dizaine de tours en béton, mais coincé entre les champs, les zones industrielles et les routes, et dont les immeubles commencent à être détruits. J’ai été comme frappé car quelque temps auparavant, le quartier dans lequel a vécu ma famille paternelle, dans la banlieue de Rouen, venait d’être détruit dans le cadre d’un projet d’urbanisation. Il n’y avait plus aucun immeuble, uniquement des terrains vagues.

J’ai alors eu le sentiment qu’il y avait comme une résonance entre ces lieux et leurs histoires respectives, qu’ils se faisaient écho. Je me suis arrêté un instant, puis des enfants et des adolescents qui s’ennuyaient en bas des tours sont venus me parler. J’ai passé l’après-midi avec eux à discuter, puis je suis revenu de nombreuses fois durant l’été, d’abord pour y passer un peu de temps, puis pour filmer avec eux, sans réellement savoir pourquoi.

L’été, les enfants et adolescents du quartier passent leurs journées dehors, en bas des immeubles et dans la nature qui environne les tours. Ils s’ennuient, tuent le temps. J’ai eu comme le sentiment que quelque chose se jouait dans ce temps suspendu qu’est l’été, dans ces espaces naturels et périurbains qui se mêlent, à cet âge de basculement qu’est l’adolescence. J’ai eu envie de faire un portrait du lieu, de cet été d’ennui, de celles et ceux que j’ai croisé.e.s et notamment de Kyllianna.



Pouvez-vous nous parler de ce choix de décor et la manière dont vous avez voulu le filmer – notamment en le laissant parfois hors du cadre ?

Le film s’ancre avant tout dans un lieu. Dans mon processus de travail, je m’attache d’abord à des lieux existants ainsi qu’aux personnes qui s’y inscrivent. C’est à partir des lieux et des gens que naissent mes désirs de films et de récits. Ce qui m’intéresse ici, ce sont ces espaces médians qui sont comme en tension les uns avec les autres : le quartier, les terrains vagues, la nature sauvage, les routes et les zones industrielles au loin. Ce sont aussi des espaces investis par ces jeunes, qui s’y construisent par eux-mêmes. Ce lieu est pour moi comme un territoire de l’enfance, une forme d’hétérotopie. Dedans, certains sont en groupe, d’autres seuls, un peu disséminés. Il y a quelque chose d’éclaté dans ce lieu, et donc dans mon film.

Le dispositif que j’adopte est proche du portrait photographique. Les plans sont comme des fragments d’existences, qui agencés ensemble racontent ce lieu, cet espace qui lui-même est morcelé. En filmant, j’ai souhaité être proche des corps et m’attacher aux visages, aux moments de creux. Mais c’est un dispositif qui n’est ni figé ni autoritaire car il se renouvèle et permet à la vie d’émerger à l’image ou au son. Dans leurs visages se révèlent des choses de leur identité, de leur âge, mais aussi de l’ennui de l’été et du temps qui passe.



L’utilisation du son (de l’environnement sonore aux dialogues entre les personnes qu’on voit ou qu’on ne voit pas) est remarquable, pouvez-vous nous en dire davantage sur cet aspect du film ?

Le film est composé de différents sons enregistrés dans ce lieu, au tournage mais également en amont, lors des moments que j’ai passés seul avec les jeunes dans le quartier. Il y a ensuite eu un travail de montage avec ces fragments sonores, qui d’une certaine manière sont comme des pièces d’un puzzle venant s’imbriquer avec les images en des strates de réalités et d’existences. Dans le dispositif que j’ai adopté, les images et les sons sont comme des fragments qui, en coexistant, viennent raconter un lieu total, un espace pluriel et en mouvement. Ce dispositif permet de tisser des liens entre des moments et des situations, de restituer quelque chose de l’ordre du collectif, ainsi que d’éclairer certains personnages, suggérer des pistes narratives et construire un récit, même infime.

Le lieu dans lequel évolue le film peut également être dur, violent. Mais je ne voulais pas montrer cette violence de manière frontale, car elle fait partie du quotidien et que l’enjeu du film n’était pas d’en faire la démonstration. J’ai cherché un équilibre entre d’un côté accepter cette violence ordinaire et latente, qui existe dans le lieu et qui est toujours prête à éclater quelque part, et de l’autre quelque chose de l’ordre de la douceur, de la beauté, de la poésie qui existe chez ces jeunes. Ce dispositif permet cet équilibre en effectuant des déplacements pour observer l’à-côté des choses, observer cette douceur.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je suis très sensible aux formes qui évoluent à la frontière entre le réel documentaire et la fiction. J’aime le cinéma de Pedro Costa, Miguel Gomes, Jean-Charles Hue, Chris Marker, Sharunas Bartas. Le cinéma portugais et le néoréalisme italien. Lorsque j’ai préparé mon film, j’ai beaucoup pensé aux premiers films de Pasolini (Mamma Roma, Accatone), qui se situent lors de la construction des grands ensembles, dans les années 60, au milieu des friches. Maintenant on rase ces immeubles, ce qui laisse place à de nouvelles étendues de terrains vagues parmi lesquelles l’humain doit trouver sa place.

Mon inspiration prend beaucoup de ses racines dans la photographie et les films d’art. Je pense à Valérie Jouve (ses photographie, son film Grand Littoral), Sharon Lockhart. L’oeuvre de Walker Evans et la photographie vernaculaire également.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?

J’ai le sentiment que les champs artistiques se décloisonnent de plus en plus. Beaucoup de cinéastes proposent des formes nouvelles, tissent des liens entre les genres mais aussi entre le cinéma et l’art contemporain. Je regarde beaucoup de films présentés dans des circuits, qui sont certes de niche (plateforme Tenk, expositions, institutions comme le Fresnoy, etc.), mais ces formes investissent de plus en plus le cinéma, tout comme le cinéma les investit également.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 25 mai 2023. Un grand merci à Jean-Charles Canu.

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