La 12e édition du Festival de La Roche-sur-Yon débute ce lundi 11 octobre. Sa directrice artistique Charlotte Serrand nous présente le très riche menu de cette excitante sélection remplie d’avant premières attendues, de découvertes et de rencontres.
L’édition 2020 a pu avoir lieu en passant entre les gouttes et elle a été un succès. Dans quel état d’esprit te trouves-tu à l’aube de cette nouvelle édition ?
En effet l’édition 2020 a bien pu avoir lieu avec le maintien de ce qui constitue la formule du festival, en termes de premières françaises, d’avant premières mais aussi d’invités (même si bien sûr moins que d’habitude) comme Eric Judor, que nous avons accueilli l’an passé. La différence étant que la capacité d’accueil des salles était limitée à 50% et la grande différence en 2021 sera un retour à une jauge pleine. L’année dernière il a pu y avoir une certaine frustration pour les spectateurs qui ont été dans l’incapacité d’assister à certaines séances. J’espère que le public sera au rendez-vous ! Et puis il y a quelque chose d’un peu plus serein qui s’est installé, l’année dernière jusqu’au dernier moment nous ne savions pas si le festival allait avoir lieu. C’est un peu différent cette année, même si le virus est toujours là – mais cela fait partie aussi de l’organisation du festival et nous le prenons bien sûr en compte.
Est-ce qu’il t’arrive de douter lorsque tu sélectionnes certains films que tu adores, mais au sujet desquels tu te demandes comment ils seront accueillis par le public ? As-tu le sentiment de faire des paris ?
Généralement mon enthousiasme est assez immédiat. Il y a certes un équilibre à trouver entre le plaisir, le goût personnel et évidemment les enjeux d’un Festival. Mais ce qui prime avant tout c’est l’envie de partager, et c’est présent dans chaque film que nous allons montrer.
Les films présentés dans les deux compétitions sont pratiquement tous des premières françaises. Comment aborde-t-on le large travail d’une sélection autant dédiée à la découverte et qui est aussi très transversale ?
Il y a un vrai esprit de curiosité derrière et l’envie d’explorer le plus possible sans rien négliger. Cela nécessite un travail de défrichage, de prospection, et une forme de « curation » dans ce travail de recherche. L’idée étant de proposer une palette avec différentes couleurs et des touches différentes chaque jour. Il y a le désir que le public puisse s’y retrouver et qu’il y en ait pour tous les goûts.
As-tu noté en cette année particulière des différences dans ce que tu vois par rapport à d’habitude, ne serait-ce que dans le nombre de films par exemple ?
La différence immédiate c’est que les festivals en ligne ont décuplé. Heureusement d’ailleurs car cela a permis de maintenir la formule des premières françaises, avec des films qui ne sont pas forcément passés par Cannes, et de me rendre à des festivals où je n’aurais jamais pu aller. Le constat sera fait par le public, sur la façon dont les films vont être reçus. En ce qui concerne le nombre de films, c’est resté assez similaire.
Il y a toujours beaucoup de découvertes dans la sélection de La Roche-sur-Yon, mais il y a aussi des redécouvertes. Je pense par exemple aux rétros Sally Potter et Joanna Hogg dont les films sont rares en France. En quoi ce travail de redécouverte importe dans ton travail de sélectionneuse et dans la mission de transmission du festival ?
C’est l’occasion de faire découvrir des cinéastes qui n’ont peut-être pas encore eu cette attention-là, à savoir faire l’objet d’une rétrospective. Pour revenir sur la notion de redécouverte, ce qui importe c’est de faire dialoguer les différentes temporalités entre elles : l’histoire du cinéma avec le cinéma contemporain. C’est aussi un équilibre à trouver et des occasions à saisir. Cette année il y aura également une rétrospective dédiée à Bouli Lanners en tant que réalisateur, à l’occasion de la présentation de son nouveau film, présenté au Festival de Toronto Nobody Has To Know (titre provisoire) et co-réalisé avec Tim Mielants.
Dans la même optique, peux-tu nous dire quelques mots sur le choix de la rétrospective Clio Barnard avec notamment la diffusion de The Arbor qui est inédit en France ?
Le dernier film de Clio Barnard, Ali & Ava, a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs cette année et nous profitons de ce coup d’éclairage pour reparcourir son travail. Le point de départ, c’est l’envie d’innover en donnant à des artistes et leurs films l’exposition qu’ils n’ont peut -être pas encore reçue. C’est aussi le cas avec le focus dédié à la cinéaste Gia Coppola dont le dernier film Mainstream, avec Maye Hawke et Andrew Garfield, n’avait pas encore eu de projection en France, et à cette occasion de représenter son premier film Palo Alto.
Qu’est-ce qui a suscité ton envie d’inviter Adèle Exarchopoulos et Judith Chemla, deux actrices dont les films sont déjà passés par La Roche, pour des rencontres avec le public ?
Ce sont les films. C’est la matière, tout vient de la matière. Pour Judith Chemla nous présenterons cette année son premier film en tant que réalisatrice, Les Enfants de Bohème. C’est un court métrage que j’ai trouvé merveilleux. Elle y déploie différentes facettes : chanteuse, actrice évidemment et il y a donc également ce premier passage derrière la caméra. Nous avions envie de l’inviter pour accompagner son film, et qu’elle nous parle également de sa parcours. Pour Adèle Exarchopoulos, c’est lié à Rien à foutre d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, dans lequel elle révèle une facette impressionnante de son travail d’actrice. C’était l’occasion de revenir sur son parcours et d’explorer son travail.
Peux-tu nous présenter l’exposition consacrée à Lorenzo Mattotti ?
Lorenzo Mattotti est illustrateur, auteur de bandes dessinées, réalisateur de La Fameuse Invasion des Ours en Sicile. L’idée avec Melania Gazzotti, commissaire de l’exposition, était de présenter Lorenzo Mattotti sous un angle qu’on connaît moins, celui du cinéma. L’exposition revient sur son travail autour du cinéma : il a été storyboarder, il a réalisé les segments intermédiaires dans l’anthologie Eros de Wong Kar Wai, Michelangelo Antonioni et Steven Soderbergh, ainsi qu’un des épisodes de l’anthologie Peur du noir. Nous montrerons des vidéos inédites, des affiches de films qu’il a conçues (comme celle de L’Humanité de Bruno Dumont), des affiches de festivals de cinéma… Lorenzo Mattotti est extrêmement cinéphile. Là encore il était important de ne pas cloisonner les registres, les arts et les idées. Il y a une sorte d’énergie qui circule d’une matière à l’autre, d’un film à l’autre, et c’est l’esprit de cette exposition : comment apporter du cinéma dans un musée et comment les disciplines voyagent d’un lieu à l’autre.
Aurais-tu un conseil à donner à quelqu’un qui viendrait au festival pour la première fois ?
Réserver ses places dès que possible (rires) ! Il y a plusieurs parcours possibles au festival, plusieurs fils à suivre : il y a les rétrospectives, les rencontres, les premières, mais ce qui est bien c’est la possibilité de varier. Si on regarde la grille, sur une journée on peut avoir une image assez globale du festival. On peut aller à une rétrospective, voir une avant-première, aller à une rencontre ou à l’exposition (qui sera ouverte tous les jours jusqu’au 13 novembre). C’est ainsi que sont pensées les sections du festival, il n’y a pas de hiérarchie.
Toutefois je peux conseiller d’aller voir en priorité les films qui sont encore sans distributeur. Il y en a beaucoup au festival et les montrer est un travail qui nous tient à cœur. De plus en plus de professionnels viennent et font des découvertes au festival, y acquièrent des films. Pour quelqu’un qui vient pour la première fois, se dire que c’est peut-être le seul endroit pour voir certains films, cela constitue un axe.
>>> Dossier : 10 découvertes à ne pas manquer au Festival de La Roche-sur-Yon
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 octobre 2021.
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