Carrefour du Cinéma d’Animation | Entretien avec Anu-Laura Tuttelberg

Dévoilé cet été au Festival de Locarno et au programme cette semaine du Carrefour du cinéma d’animation, On Weary Wings Go By est le second volet de la trilogie entamée par Anu-Laura Tuttelberg avec le magnifique Winter in the Rainforest. A la jungle succède un froid paysage nordique dans lequel s’invitent ses fragiles poupées de porcelaine. D’une captivante beauté, On Weary Wings Go By est un chant d’amour à la nature qui invite à la contemplation et la rêverie. Anu-Laura Tuttelberg est notre invitée.


Votre précédent court métrage, Winter in the Rainforest, se déroulait dans une jungle tropicale. Votre nouveau film se situe dans un décor très nordique. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce choix ?

Quand j’ai commencé à faire Winter in the Rainforest, le film devait parler des contrastes entre les saisons et les différents climats, et de la façon dont les oiseaux migrateurs relient le climat nordique et le climat tropical en voyageant entre les deux. Le film devait inclure les saisons d’été et d’hiver. Mais en le faisant, l’idée a pris de l’ampleur et j’ai décidé de le diviser en plusieurs films qui raconteraient chacun des saisons et des environnements naturels différents.

Alors que je travaillais sur le scénario et les marionnettes de Winter in the Rainforest, j’ai été invitée à une résidence artistique dans un endroit isolé sur une île du nord de la Norvège. La résidence s’est déroulée en hiver pendant la nuit polaire. J’avais deux de mes marionnettes en porcelaine avec moi et je les ai filmées sur la plage enneigée, pendant les quelques instants crépusculaires des jours les plus sombres. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire le deuxième film dans la nature, On Weary Wings Go By, et de le tourner sur le bord de mer enneigé et hivernal en Norvège ainsi que dans mon pays d’origine, l’Estonie.



Comment abordez-vous la narration d’histoires sans utiliser de dialogues ?

Il existe une longue tradition d’animation en Estonie. Nous avons ici certains des plus anciens studios d’animation d’Europe, comme Nukufilm Studio par exemple, qui fait de l’animation en stop motion depuis 1957. À l’exception de certains films pour enfants, l’animation estonienne a toujours été principalement dépourvue de dialogues. Ma formation artistique a commencé par des études de photographie et s’est poursuivie avec la scénographie pour le théâtre et le cinéma. J’ai donc appris à m’exprimer par des images et des décors, pas par des dialogues. Je suis entrée dans l’animation à travers le théâtre de marionnettes et la scénographie.

Je construisais des maquettes pour des pièces de théâtre pendant mes études de scénographie et j’ai été fascinée par l’échelle miniature des décors. Je voulais faire mon propre film en stop motion et j’ai ensuite étudié l’animation à l’Académie estonienne des arts dans le cadre d’un programme de maîtrise dirigé par Priit Pärn. La méthode d’enseignement de l’animation de Priit Pärn est la narration sans dialogue. Pour moi, c’était une façon très excitante et stimulante d’apprendre à raconter des histoires. Cela vous fait trouver des solutions à partir du langage cinématographique plutôt que du langage parlé, ce qui est plus intriguant pour moi en tant que cinéaste. Et je pense aussi pour le public parce que cela fait réfléchir les spectatrices et spectateurs pour trouver leur propre interprétation d’un film.



Qu’est-ce qui vous inspire en particulier dans la nature ?

J’aime le fait que dans la nature, chaque instant est nouveau. Rien ne reste pareil. J’aime observer les changements de lumière, les mouvements et les rythmes dans le lieu où je filme. Lorsque nous tournons des films en stop motion en studio, nous nous efforçons de garder un cadre stable et inchangé. Nous essayons de créer l’illusion que les personnages se déplacent en temps réel, en figeant ce qui se trouve au second plan. Dans la nature, rien ne reste pareil. Chaque image que vous prenez est différente de la précédente et il n’y a aucun contrôle sur le réglage de votre film.

Quand je tourne mes films en stop motion dans la nature, je dois travailler avec la nature. Si je n’arrive pas à collaborer, je peux essayer de me battre mais la nature gagne toujours et ensuite j’échoue. Alors il vaut mieux que j’essaye de trouver le même rythme, j’essaie d’écouter et de me laisser guider par les changements de la nature. Parfois, mes intentions ne sont pas synchronisées par rapport à ce que la nature a prévu et je ne parviens pas à filmer ce que je voulais, par conséquent je dois changer mes plans et trouver des solutions. Et puis, certaines des prises de vue les plus expressives de mes films ont été créées par la nature, pas par moi. On pourrait dire que c’est un hasard chanceux, mais j’appelle cela un cadeau de la co-réalisatrice de mes films – la nature.



Comment avez-vous travaillé sur le son et la musique de votre film ?

La compositrice de On Weary Wings Go By ainsi que de Winter in the Rainforest est Maarja Nuut. C’est une amie à moi et je suis sa carrière musicale depuis que nous sommes enfants. J’admire vraiment son travail et j’ai pensé que sa musique serait parfaite pour mes films d’animation sur la nature. Surtout pour On Weary Wings Go By, notre origine commune (le lieu de tournage du film en Estonie est notre paysage d’enfance à nous deux) nous a vraiment encouragées pour trouver un langage commun qui convienne au film. J’espère que Maarja fera aussi la musique du troisième film de la trilogie.

Le son des deux films a été réalisé par une sound designer lituanienne, Olga Bulygo, qui est très talentueuse et déterminée. J’étais très heureuse de travailler avec elle parce qu’elle a toujours des idées inattendues et intéressantes pour mes personnages surréalistes et l’environnement poétique que j’espérais créer dans les films. J’espère que nous pourrons continuer notre travail avec elle pour le troisième film !



On Weary Wings Go By est le second volet d’une trilogie entamée avec Winter in the Rainforest. Le troisième chapitre est censé se dérouler en Estonie, au printemps. Pouvez-vous nous en révéler davantage à ce sujet ?

Le troisième et dernier film de la trilogie portera sur la saison printanière et sera tourné en Estonie au début du printemps, lorsque la neige fond. Je pense le filmer dans un marais ainsi que dans un cadre fluvial. Je n’ai toujours pas le script, il est donc trop tôt pour en dire davantage pour le moment. Mais ce sera certainement un nouveau défi !


Entretien réalisé le 1er septembre 2024 par Nicolas Bardot.

| Suivez Le Polyester sur TwitterFacebook et Instagram ! |

Partagez cet article