Festival New Directors/New Films | Entretien avec Aliha Thalien

Nos îles est un court métrage qui effectue un brillant parcours en festivals, du FID Marseille à Entrevues Belfort au Festival New Directors/New Films il y a quelques jours. La Française Aliha Thalien filme les discussions de quelques jeunes Martiniquais.e.s, portant notamment sur leur rapport à la Martinique. Aliha Thalien met en scène la parole avec habileté et fait preuve d’un sens de l’atmosphère très prometteur, déjouant les clichés exotiques. Elle est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Nos îles ?

Ma famille est originaire de la Martinique et je voulais y tourner un film. Les lieux choisis sont souvent le point de départ de mes films et ce sont souvent des lieux périphériques. Au début du développement du projet, j’ai fait la rencontre des trois producteur·ices de L’Heure d’Été avec qui j’ai pu développer des idées de scénario et une note d’intention. À l’origine, je souhaitais parler de matrifocalité, un terme sociologique se rapportant à un modèle familial, plutôt courant aux Antilles, dans lequel le père est absent. J’ai découvert les écrits de Stéphanie Mulot. J’étais aussi très intéressée par le mouvement indépendantiste et par l’histoire de l’OJAM. J’y suis alors allée en 2021 pour faire quelques repérages et me re-familiariser avec cette île sur laquelle je n’avais pas pu me rendre pendant plusieurs années, faute de moyens. Les questions de transmission, d’insularité et la jeunesse étaient les sujets qui m’excitaient particulièrement.



L’image de Nos îles est très douce et chaleureuse, pouvez-vous nous parler de votre approche formelle et de votre collaboration avec Nino Defontaine & Nicolaos Zafiriou sur la photographie du film ?

Je souhaitais créer plusieurs tableaux semblables à des cartes postales qui pourraient à la fois rendre compte de la beauté des paysages de Martinique mais aussi critiquer l’exotisation dont souffrent les îles françaises. Nous avons tourné avec deux caméras et deux chef.fes opérateur.ices. Nino Defontaine a fait la photographie des plans « carte postale » et Nicolaos Zafiriou a fait la photographie des séquences plus documentaires. J’avais déjà travaillé avec Nicolaos Zafiriou sur plusieurs projets avant cela, notamment mon premier court-métrage Feu Soleil en 2019. Et j’avais été impressionnée par le court métrage documentaire en 16mm réalisé et mis en lumière par Nino Defontaine, Clémente (2021).

Il y a presque deux films dans Nos Îles : le film joue beaucoup avec la question de la dualité et c’est quelque chose que nous avons souhaité retranscrire à l’image par la mise en place de deux dispositifs de tournage différents, deux caméras, deux chef·fe·s opérateur·ices. Ensemble, nous avons choisi le format particulier du film qui correspond à un ratio 1,50 et nous avons aussi choisi de travailler en partie avec une caméra Ikonoscop en prenant le temps nécessaire à la réalisation des images souhaitées. J’avais aussi surtout envie de questionner le regard du spectateur en offrant plusieurs points d’entrée dans le propos du film. Nous avons travaillé l’étalonnage avec Clément Le Penven selon cette envie.



La parole occupe une place centrale dans Nos îles, qu’elle soit quotidienne, politique ou spirituelle. Qu’est-ce qui vous intéressait particulièrement dans ce motif ?

Dans Nos Îles, la limite entre fiction et documentaire n’est pas très claire. Une grande part a été laissée à l’improvisation car j’étais très intéressée par ce que les acteurs et actrices du film avaient à dire et à raconter. Tout au long du film, les acteurs et actrices sont plutôt statiques. Le langage est la seule manière de rendre compte de leur complicité et de leur amitié. En amont du tournage, j’avais défini trois thématiques pour les guider : la vie personnelle, l’indépendance et la mémoire. Iels ont une parole légère et libre, c’est ce qui m’a vite frappée chez elleux.

Ce qui m’intéressait aussi, suite à ma rencontre avec elles et eux, c’était de pouvoir montrer d’autres formes de contestation. Le film ne montre pas des activistes, ce n’est pas non plus un film qui a pour but d’expliquer ou de convaincre. Tout au long du film, il y a cette tension entre le visible et l’invisible et il était important pour moi de me mettre à l’écoute de ce groupe d’amis, notamment dans un monde où de nombreuses personnes, du fait de leur âge, de leur identité de genre ou de leur origine sociale par exemple, sont régulièrement silenciées et invisibilisées.



Le son a également une place importante et remarquable dans Nos îles. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cet élément du film ?

Le montage son a été réalisé par Yohei Yamakado. Pour accompagner les images cartes postales, je voulais instaurer un environnement sonore assez mystérieux. L’utilisation des ambiances sonores s’est faite de manière assez libre, par des allers-retours entre choses trouvées dans des sonothèques et les ambiances que j’avais moi-même enregistrées sur place. Je voulais notamment rendre compte des mouvements du vent et donner une place, dans le traitement du son, au hors-champ et à l’invisible. Je trouve aussi le paysage sonore très riche en Martinique. C’est quelque chose que la carte postale ne retient pas, pourtant c’est surtout ce dont je me souviens de mes séjours là-bas.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Il y en a beaucoup donc je ne serai pas exhaustive. Je pense par exemple à Maurice Pialat et Eric Rohmer qui ont accompagné la fin de mon adolescence, à Cyril Collard car j’ai beaucoup pensé à tous les autres films qu’il aurait pu faire après Les Nuits Fauves. Et depuis plus récemment, il y a surtout Steve McQueen, Apichatpong Weerasethakul et Alice Diop.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 15 avril 2024. Un grand merci à Romane Koënig et Natalia Trebik.

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