Haïti, 1962. Un homme est ramené d’entre les morts pour être envoyé de force dans l’enfer des plantations de canne à sucre. 55 ans plus tard, au prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur à Paris, une adolescente haïtienne confie à ses nouvelles amies le secret qui hante sa famille. Elle est loin de se douter que ces mystères vont persuader l’une d’entre elles, en proie à un chagrin d’amour, à commettre l’irréparable.
Zombi Child
France, 2019
De Bertrand Bonello
Durée : 1h43
Sortie : 12/06/2019
Note :
A QUOI RÊVE UNE JEUNE FILLE ?
Comme tous les films de Bertrand Bonello, Zombi Child est un film aussi insaisissable que passionnant. Quelle en est l’histoire? On pourrait justement dire que c’est l’Histoire, en tant que récit national et identitaire. Or qui dit récit dit fabrication. L’Histoire est-elle une histoire comme les autres, une histoire qu’on pourrait raconter en cachette au coin du feu ? Quand les faits relatés sont d’une violence macabre, presque fantastique, quand ils sont refoulés loin dans l’inconscient collectif, font-ils encore partie de l’Histoire avec un grand H?
Zombi Child se déroule dans un lieu lui-même à cheval entre le réel le plus concret et le conte bizarre: l’École de la légion d’honneur. Un lieu de tradition où le respect du passé pèse sur les épaules de chacun. Le temps d’un plan, Bonello l’ancre dans la réalité de la banlieue parisienne (on voit même le Stade de France juste derrière), mais l’École reste figée comme hors du temps. Une école où les jeunes filles, fragiles ou précoces, portent toutes le même uniforme et rêvent d’insoumission buissonnière, comme dans l’un des sous-genres les plus chéris du fantastique : le film de pensionnat de jeunes filles et ses frissons interdits.
L’excellence et l’unicité de Zombi Child tiennent dans cet incroyable équilibre entre le tangible et le fantasme. Le réel et la métaphore. L’Histoire et l’histoire, donc. Ce à quoi on souhaite croire et ce qu’on refuse d’admettre. Mais aussi entre les codes du film fantastique et le très grand sérieux accordé aux idées ambitieuses. A qui appartient l’Histoire? Qui en hérite, et comment? Ce n’est sans doute pas un hasard si, sous la caméra de Bonello, l’école est très majoritairement composée de filles. En cours d’histoire, ces sages élèves sont consciencieuses mais muettes, et leur silence nous renvoie la question : comment hérite-t-on d’une Histoire nationale quand on a été exclue de sa construction, par son sexe ou sa couleur de peau ? Comment trouve-t-on sa place dans un paysage politique contemporain quand rien ne nous y rattache ?
Dans le quotidien de ces jeunes filles, la seule parole racisée vient des paroles crues des tubes de rap apprises par cœur avec la candeur des premiers émois. La France telle qu’on l’enseigne à ces jeunes filles est blanche, noble et respectable. Même si elle a un secret. Le mot est d’ailleurs lancé dès le début du film : inexpiabilité. Quand Mélissa arrive en cours, elle arrive elle aussi avec son histoire intime. Telle une énigme qui se mérite, celle-ci ne sera dévoilée à ses amies qu’en cachette, lors d’un rituel bien codifié. Ce que Melissa va alors chuchoter aux oreilles de ses camarades et aux nôtres, ce n’est pas seulement une histoire de fantôme ou de famille. A travers sa parole libérée comme par une transe (un leitmotiv récurrent chez le cinéaste) c’est toute une partie refoulée de l’Histoire de France qui remonte à la surface.
Il y a quelques mois était dévoilé au festival de Belfort The World is Full of Secrets, formidable premier film de l’Américain Graham Swon (lire notre entretien). Zombi Child partage avec ce dernier une idée lumineuse : faire de la parole de jeunes filles la porte d’entrée et de sortie d’un inconscient collectif macabre. Bonello montre le roman national et le regard colonialiste tels qu’ils sont réellement : c’est-à-dire comme de véritables films d’horreur, faits de violence et de monstruosité. Une histoire inoubliable, comme nous prévient la chanson de fin : « je marcherai sans cesse à tes côtés », sans qu’on ne sache très bien s’il s’agit d’une promesse ou une menace.
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par Gregory Coutaut