Berlinale 2019 | Critique : Vai

Chaque île du pacifique sud est unique, mais elles partagent toutes une histoire commune. Où qu’elle aille, Vai devient quelqu’un d’autre, sans pour autant oublier d’où elle vient.

Vai
Nouvelle-Zélande, 2019
De Nicole Whippy, Sharon Whippy, ‘Ofa-Ki-Levuka Guttenbeil-Likiliki, Matasila Freshwater, Amberley Jo Aumua, Mīria George, Marina Alofagia McCartney, Dianna Fuemana, Becs Arahanga

Sortie : –

Note : 

NUL HOMME N’EST UNE ÎLE 

« Nul homme n’est une île », disait le poète britannique John Donne. Mais une femme peut-elle être plusieurs îles à elle toute seule ? Au début du film, Vai n’est qu’une fillette des îles Fidji s’apprêtant à quitter le domicile familial pour se rendre à l’école voisine. Déjà, la vie qui l’appelle lui impose de quitter son île. Elle reviendra, se rassure-t-on. « Mais sera t-elle toujours la même ? », s’inquiète sa grand-mère ? Vai n’a pas le temps de répondre d’un éclat de rire qu’elle a déjà cédé à l’appel du large. Ce que le film s’apprête alors à nous raconter avec lyrisme et ambition, c’est rien de moins que la vie entière de son héroïne éponyme, qui va traverser tout le Pacifique sud pour mieux retrouver ses racines en cours de route. Le propos pourrait être convenu au possible, et pourtant Vai c’est du jamais vu à plus d’un titre.

Vai est un singulier projet : un long métrage divisé en huit segments, partageant la même héroïne mais tous tournés sur une île différente par une réalisatrice locale (ou deux, dans le cas des sœurs Whippy qui se partagent une même partie). A chaque segment correspond une nouvelle étape dans la vie et l’apprentissage de Vai, et à chaque fois, celle-ci va à l’écran changer d’âge, de visage, de langue, de nationalité. A chaque segment son île : Fidji, Tonga, Salomon, Cook, Samoa, Niue et Aotearoa (nom maori de la Nouvelle-Zélande) et à chaque segment sa langue locale, dont certaines quasi jamais entendues par nos oreilles occidentales.  Au sens propre comme au sens figuré, ces voix féminines nous parviennent de l’autre bout du monde pour la – presque – première fois.

Le plus étonnant, c’est sans doute que Vai ne ressemble jamais vraiment à un de ces films-omnibus qui partent dans tous les sens. Le film demeure au contraire d’une vraie cohérence à la fois narrative (on ne doute jamais qu’on nous raconte l’histoire d’une seule et même personne, et chaque réalisatrice évite avec le même soin les pièges du pittoresque) et visuelle : chaque segment se compose en effet d’un unique plan séquence (ou quasiment), donnant lieu à une puissance immersive immédiate. 

Mais la cohésion se trouve aussi ailleurs, dans le propos même du film – sans doute un peu trop lisible par moments. Non seulement les différentes incarnations de Vai partagent un héritage commun, à la fois personnel et collectif, mais à chaque segment ce dessine une expérience féminine commune. Alors qu’elle sont en apparence reléguées dans les coulisses de la vie sociale, ce sont elles qui maintiennent les fils de leur communauté : ce sont elles seules qui peuvent mener les danses, et qui connaissent les moyens secrets d’accéder au sacré.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article