1945. La Deuxième Guerre mondiale a ravagé Léningrad. Au sein de ces ruines, deux jeunes femmes, Iya et Masha, tentent de se reconstruire et de donner un sens à leur vie.
Une grande fille
Russie, 2019
De Kantemir Balagov
Durée : 2h17
Sortie : 07/08/2019
Note :
PULSIONS
Une grande fille raconte comment vont se croiser les destins de deux jeunes femmes russes au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, dans un paysage à reconstruire entièrement, au propre comme au figuré. Un grand sujet, des grands sentiments, de belles images, et l’Histoire avec un grand H : vu de loin, le nouveau film du jeune Kantemir Balagov (28 ans) parait ironiquement déployer toutes les apparences d’un film… de vieux. On pourrait se croire sur les terres bien rebattues du magnifique-portrait-de-femmes-dignes-en-temps-de-guerre, cette sous-famille de fresques historiques aux stéréotypes sentimentaux transposables dans tous les pays et les époques, aux idées cinématographiques rarement modernes. Sauf que des idées, Balagov en a à revendre.
Il y a dès le début des reliefs anguleux, une aspérité qui gronde et ne demande qu’à rugir. Dans ce titre français à l’ambiguïté bizarre (une fille suffisamment grande pour savoir prendre ses décisions mais trop grande et gênante pour son entourage), dans cette étonnante affiche où une caresse pourrait tout aussi bien être geste d’étouffement, et dans cette impressionnante scène d’ouverture: un gros plan du visage d’Iya, alors en pleine crise de catatonie. Les spasmes nerveux qui courent sous ses traits figés sont les mêmes que les courants électriques brutaux qui palpitent sous la surface du film.
La guerre est finie, et la vie continue. On se sert les coudes avec un humour potache qui répare tout, les dragueurs timides se mettent à nouveau à regarder les filles, lesquelles n’ont que leurs futurs bébés à la bouche. Les couleurs sont chaudes, étonnamment chaudes mêmes, parfois à la limite de la saturation. Un éclat inattendu, loin du gris habituel des films sur la guerre. Un filtre vibrant et décalé, comme si les personnages hallucinaient, comme si les ruines qui les entouraient n’était qu’un décor, comme si la chaleur humaine était déjà là, partout autour, et qu’il suffisait de se pencher pour la cueillir.
Les corps se cognent dans Une grande fille, ils s’attirent et se piétinent. Balagov met en scène chaque contact physique comme une brillante énigme. Le moindre câlin menace de virer à la violence en vice-versa. On se bouscule avec un sourire narquois au coin des lèvres. On baise allègrement mais sans être dupe. On se marre parce qu’on vient de se faire tabasser. On saigne en plein bonheur, jusqu’à l’étourdissement. Iya et son amie Masha veulent des enfants, et vite. La relation qu’elles nouent autour de ce projet commun et urgent les plonge elles aussi dans une ambiguïté proche du sadomasochisme.
Entre la pression à donner la vie et le poids du traumatisme, c’est l’existence des ces femmes qui est ballottée entre pulsions de vie et pulsions de mort, et le film épouse ce grand écart dans un vertigineux mouvement de va et vient. Le résultat est d’une intensité romanesque rare.
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par Gregory Coutaut