Critique : Un varón

Carlos vit dans un foyer du centre de Bogotá, un refuge à l’abri duquel la vie se fait un peu moins violente qu’à l’extérieur. C’est Noël et Carlos aimerait partager un moment avec sa famille. À sa sortie du foyer, Carlos est confronté à la rudesse des rues de son quartier, où règne la loi du plus fort. Carlos doit montrer qu’il peut lui aussi être l’un de ces mâles alpha. Il lui faudra choisir entre adopter ce codes d’une masculinité agressive, ou, à l’opposé, embrasser sa nature profonde.

Un varón
Colombie, 2022
De Fabián Hernández

Durée : 1h22

Sortie : 15/03/2023

Note :

JE SUIS UN VRAI GARÇON

Lorsqu’il va se faire couper les cheveux, Carlos, le jeune protagoniste de Un varón, n’hésite pas longtemps : il a besoin d’une « coupe qui fasse mec ». Car il y a, comme nous l’expliquent une succession de personnages s’adressant à la caméra en ouverture du film, toute une série de codes à respecter pour survivre dans les rue de Bogota : ne pas avoir des petits traits de bourge, être dur… Globalement, tout peut être résumé par le commandement principal : « ne pas être pédé ». Carlos fait ce qu’il peut pour être un varón (un homme) – mais à quoi cette définition correspond-elle au juste ?

Les garçons dans Un varón soulèvent de la fonte torse nu, estiment toute trace de féminité comme la pire des hontes, se tatouent le visage et tirent tous la gueule. Les codes de masculinité sont poussés à une telle extrémité que tous les hommes qui entourent Carlos ressemblent à des drag kings performant leur machisme comme s’ils étaient sur scène – comme s’ils avaient à convaincre leur entourage de leur virilité débordante. C’est une farce : lorsque Carlos se retrouve dépité assis sur un trottoir, il est surveillé ironiquement par une peinture murale représentant les Rapetou qui roulent des mécaniques.

Le Colombien Fabián Hernández, qui dit s’être inspiré de sa propre expérience de jeune homme, s’attarde longuement sur le visage de Carlos. Sur son visage, ainsi que sur ce qui l’entoure et l’avale : Carlos parmi les guirlandes de Noël, les feux d’artifice, le bruit de la rue, la musique. Comment les tourments de son antihéros s’inscrivent dans cet environnement précis ? Les scènes vives et colorées s’enchainent. La tension n’est jamais celle d’une énième variation appauvrie de Rosetta – comme on en voit si souvent en festivals. L’économie d’écriture de Hernández parvient, avec finesse, à en dire assez sans en dire trop – par exemple sur le spectre de masculinité où Carlos se situe.

Dans cet enfer patriarcal, on s’attend à voir Carlos dérailler. L’ennemi à abattre, comme le suggèrent deux scènes fortes du film, est à la fois omniprésent et invisible. Carlos marche dans les ruines d’un monde qui tient encore un peu debout. Mais cette étouffante masculinité performative, qui pousse à l’humiliation et à la haine de soi, renvoie Carlos à sa solitude et ce portrait-là est puissant et poignant. Un varón raconte un monde, une rue, une fête et des codes qui ne sont jamais les siens.

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par Nicolas Bardot

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