Mark Cousins explore le rôle que l’expérience visuelle joue dans nos vies individuelles et collectives.
The Story of Looking
Royaume-Uni, 2021
De Mark Cousins
Durée : 1h30
Sortie : –
Note :
REGARD OBLIQUE
En France on connait surtout le documentariste Mark Cousins pour son œuvre consacrée au cinéma (A Story of Children and Film ou The Eyes of Orson Welles, tous deux récemment sélectionnés à Cannes Classics), ses films-fleuves aux durées parfois monumentales (les passionnantes 14 heures de Women Make Film, les 15 chapitres de The Story of Film: An Odyssey), mais le cinéaste britannique a également réalisé des œuvres au contenu plus directement personnel et c’est à cette famille qu’appartient The Story of Looking, qui vient tout juste d’être présenté en clôture du Festival Sheffield DocFest.
The Story of Looking se présente à nous avec un titre à l’ambition presque mégalo (combien d’heures faudrait-il pour ne serait-ce que commencer à envisager « l’Histoire du regard » ?) et pourtant il débute comme un secret raconté en cachette, sous la forme d’un journal vidéo filmé dans la plus profonde intimité : sous la couette même du cinéaste, qui s’adresse à nous presque en chuchotant. « J’ai toujours aimé regarder » : quand Mark Cousins entame le documentaire avec ses mots, c’est presque une confession et presque un regret. Au moment où il filme ce monologue d’ouverture, le cinéaste s’apprête en effet à subir une opération lourde à l’œil après qu’on lui ait diagnostiqué une cataracte.
Hasard du calendrier? The Story of Looking est un film qui ressemble à l’année qu’on vient tous de passer. Enfermé dans les quatre murs de sa chambre, les rideaux tirés, Cousins se remémore les images qu’il a adoré regarder, celles des autres et celles qu’il a lui-même filmé lors de promenades quotidiennes (un homme debout sur un toit, un arbre abattu) et qui apparaissent ici tels des souvenirs. « Toutes les choses que l’on a vues au long de notre vie sont demeurées en nous, et il nous est possible de les repartager » : par cette formule, Cousins montre que son journal intime n’est pas autocentré, mais porté au contraire par un sens touchant du partage.
Quant à l’Histoire du regard, elle est belle est bien abordée ici, bien sûr. Et là encore le cinéaste fait preuve d’un généreux éclectisme, faisant appel à des exemples issus de la philosophie, la théologie, la mythologie, l’histoire de l’art classique ou contemporain (des autoportraits de Frida Kahlo aux performances muettes de Marina Abramovic), et naturellement au cinéma. Se frayant un chemin à soi hors des sentiers attendus du documentaire à la première personnes, The Story of Looking crée des ponts parfois inattendus entres ces domaines, et les redistribue en une émouvante variation d’échelle, presque un vertige. Voilà un film qui n’a pas peur d’aller de l’Histoire avec un grand H à l’intérieur-même de nos pupilles. Un vibrant grand écart.
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par Gregory Coutaut