Critique : La Romancière, le film et le heureux hasard

Banlieue de Séoul. Junhee, romancière de renom, rend visite à une amie libraire perdue de vue. En déambulant dans le quartier, elle croise la route d’un réalisateur et de son épouse. Une rencontre en amenant une autre, Junhee fait la connaissance de Kilsoo, une jeune actrice à qui elle propose de faire un film ensemble.

La Romancière, le film et le heureux hasard
Corée du Sud, 2022
De Hong Sangsoo

Durée : 1h32

Sortie : 15/02/2023

Note :

MICROFICTIONS

« Que regardes-tu si intensément ? » demande un personnage à un autre dans La Romancière, le film et le heureux hasard. Les longs métrages de Hong Sangsoo se succèdent, peuvent se ressembler, mais ce mystère-là demeure. Qu’est-ce que ses personnages pourtant bavards ont en tête ? Quels sont leurs sentiments, comment peuvent-ils les exprimer ? Qu’est-ce qu’ils vivent ; est-ce que ce que l’on voit arrive réellement, ou est-ce un fantasme, un rêve, une pensée qui traverse l’esprit lorsqu’un protagoniste, précisément, regarde ailleurs avec intensité ?

« Je me demande bien ce qu’il regarde » dit l’épouse interloquée au sujet de son mari. Nous aussi : dans La Romancière, on essaie de regarder à travers des vitres mais tout ce qu’on distingue, c’est un no man’s land d’un blanc épais comme si les personnages étaient quelque part au-dessus du monde – à l’image d’un moment identique dans le récent Introduction. Cachés derrière leurs masques, comment les héros du film vont-ils se comprendre ? Ils redébarquent à l’improviste dans la vie des autres, se rencontrent en une succession de drôles de hasards dans un parc, un petit resto, puis reviennent au point de départ. C’est aussi étrange que cette fascinante héroïne (incarnée par la brillante Lee Hye-young, déjà géniale dans Juste sous vos yeux) qui sort de nulle part, arrive dans les conversations, embarque tout le monde dans ses projets.

Hong Sangsoo nous embarque avec elle mais rien ne semble aller de soi pour ses interlocuteurs. La Romancière est un long métrage où les personnages passent leur temps à rire – mais c’est un rire essentiellement nerveux, social. On éclate de rire à l’idée d’avoir du charisme ou de s’exprimer clairement. On éclate de rire lorsqu’un personnage dit à un autre qu’elle a gâché son talent, on rit quand une fillette vous observe et vous met mal à l’aise. « Mais pourquoi vous riez ? » et tout le monde rit. La Romancière, le film et le heureux hasard sait être une bonne comédie, mais le film met aussi le doigt sur une incommunicabilité qu’on retrouve régulièrement dans l’œuvre du Coréen dont les protagonistes passent justement leur temps à essayer de se comprendre.

Et pour se comprendre, quoi de mieux qu’un peu d’alcool ? « Ça me semble être une journée parfaite pour boire », et l’on se retrouve quelques instants plus tard à agiter les bouteilles pour trouver celles qui contiendraient encore quelques gouttes d’alcool. On bavasse, des histoires naissent, un film se constituent – aussi simplement que cela : c’est le projet de réalisation de la romancière, personnage principal du film, c’est aussi de manière assez claire un récit méta sur la méthode Hong… ou peut-être simplement celle qu’on imagine.

Car la romancière et néo-réalisatrice nous prévient : « quoiqu’il en ressorte, ça n’est pas un documentaire ». Il y a toujours chez Hong Sangsoo cette vibration magique entre l’honnêteté nue, l’exercice cérébral et le vertige surréel. Comment choisir ? Le chemin qu’on observe d’en haut, mène t-il finalement quelque part ? Qu’est-ce que l’actrice, dans le dernier plan du film, a pensé des images qu’elle a vues ? Les personnages de Hong Sangsoo, comme dans cette scène superbe du long métrage, ne se comprendraient-ils pas mieux en utilisant une langue des signes qui jusqu’ici leur était inconnue ?

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par Nicolas Bardot

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