Une interprétation de Vertigo, le classique d’Alfred Hitchcock, constituée à partir de montages d’anciens films et séries télévisées tournés dans la région de San Francisco.
The Green Fog
Canada, 2017
De Evan Johnson, Galen Johnson, Guy Maddin
Durée : 1h02
Sortie : –
Note :
QUEER EYE
Maitre ès maboulerie et grand explorateur/décortiqueur d’archives cinématographiques, on ne devrait pas être surpris que le Canadien Guy Maddin se lance (avec deux acolytes) dans un projet aussi improbable qu’une réimagination de l’Everest du cinéma qu’est Sueurs froides. Et pourtant, à l’image de ses autres films, nous voilà comme deux ronds de flan devant tant d’imagination et de folie. The Green Fog est en quelque sorte le jumeau malade de Vertigo, film pourtant réputé intouchable. Son clone grotesque, frère siamois abandonné à la naissance et qui aurait grandi dans une cave, la créature de La Mouche aux adn contraires qu’on n’aurait jamais dû mélanger. A la fois conceptuel et bouffon, le résultat est fascinant et bien sûr hilarant.
Le scénario est toujours le même, chaque scène culte est bien là. Les décors eux-mêmes n’ont pas changé puisque chaque image de The Green Fog est tirée d’un film ou d’une série télé tournée à San Francisco (hélas non, il n’y a pas parmi elles d’images de La Fête à la maison). Créature de Frankenstein, le film de Maddin rapièce des bouts de vieux téléfilms ringards, des thrillers sexy des années 90 ou encore des classiques en noir et blanc. Dans son précédent film, La Chambre interdite, Maddin avait réuni un casting international des plus impressionnants. Celui de The Green Fog est encore plus fou, mettant côte à côte Chuck Norris, Meg Ryan, Joan Crawford, Justin Timberlake ou plein d’autres.
Il y a une vraie jubilation cinéphile à voir ces juxtapositions contre-nature. Un humour extra-filmique, comme lorsque la malicieuse Kathy Najimy de Sister Act déboule pour faire coucou en plein scène de suspens. Le gag récurrent le plus tordant du film consiste à prendre des scènes de dialogues de soap operas kitsch, pour justement en couper les dialogues, ne gardant que les respirations et visages outrés des comédiens. Mais tout aussi drôle qu’il est, The Green Fog n’est pas qu’un fan service cynique pour amateur de nanar. Ce n’est pas non plus une variante de La Classe américaine. L’approche de Maddin a quelque chose de vraiment radical. Lorsqu’il passe de longues minutes à monter diverses images anonymes des rues de la ville, sans aucun personnage ni passant, on retrouve comme un écho de Dragonfly Eyes, l’incroyable film chinois composé uniquement d’images de télésurveillance.
Par ailleurs, il a beaucoup été dit que les films d’Hitchcock possédaient une grande part de subversion. La démarche de Maddin a quelque chose de queer, précisément au sens subversif du terme. Et pas seulement parce que les personnages masculins se retrouvent ponctuellement joués par des actrices ou vice-versa. En utilisant des productions populaires et des films à succès, Maddin s’intéresse à notre mémoire cinématographique collective. Il l’interroge, la déconstruit, détricote les clichés. En créant des passerelles inattendues entre les œuvres, il dévoile une histoire du cinéma alternative et souterraine. Ici, la citation n’est pas qu’un clin d’œil, c’est une réappropriation. Ce qui est l’une des meilleures définitions du queer.
>>> The Green Fog est visible gratuitement en ligne sur la page Vimeo de Guy Maddin.
par Gregory Coutaut