Berlinale | Critique : The Assistant

Jane vient de trouver travail de ses rêves. Elle est assistante d’un puissant magnat du divertissement. Sa journée est un peu comme celle de n’importe quelle autre assistante, mais la jeune femme va bientôt être confrontée à un système abusif qu’elle n’avait pas anticipé…

The Assistant
États-Unis, 2019
De Kitty Green

Durée : 1h27

Sortie : –

Note :

AUX MAINS DES HOMMES

Jane se lève aux aurores et finit sa nuit dans le taxi. Elle va travailler alors que New York est encore plongée dans le noir. La réalisatrice Kitty Green s’attache d’abord à nous faire ressentir ce silence, comme si Jane se glissait dans les bureaux en secret, effectuant avec une dextérité somnambule ses rituels du matin. On entend les clapotis de la machine à café, le grésillement des néons, puis le vrombissement de la photocopieuse. Jane sort une tasse qui parle toute seule (avec son logo big hug mug). On ne le sait pas encore mais le silence et les actes de routine seront au centre de ce long métrage tendu et glaçant.

Jane se coupe avec une enveloppe qui contient une invitation de luxe. Ce n’est rien qu’une égratignure qui nécessite juste un pansement. En apparence, dans The Assistant, il n’est question que d’égratignures, ou de ce qu’on considère comme tel. Jane travaille dans une boite de production de cinéma, le boss est invisible mais on devine très vite qu’on a affaire à un des multiples Harvey Weinstein qui peuplent le business – ou n’importe quelle boite.

The Assistant est un modèle à montrer dans les écoles de cinéma à plus d’un titre. Un modèle d’écriture d’abord, dans un film qui parvient à dire tant de choses en en disant si peu. Kitty Green prend évidemment son sujet au sérieux, suffisamment en tout cas pour éviter un récit confortable et inoffensif de féminisme cosmétique où une héroïne sans peur triompherait des prédateurs mâles. Green expose un système oppressif autrement plus complexe et ne traite pas son public comme des enfants.

Plus que les mots dans ce film de silences, ce sont les actes qui parlent. Comme imprimer des photos de jeunes femmes qui sortent les unes derrière les autres d’une photocopieuse, prêtes à être insérées dans une chaine alimentaire. Il y a beaucoup de non-dits dans The Assistant – ou alors lorsqu’on dit, on en fait une blague : « ne vous asseyez jamais sur le canapé du boss ». Green parvient à décrire la solidarité toxique au sein du club de garçons sans faire de son film un dossier de l’écran didactique.

L’autre impressionnante qualité de The Assistant est son interprétation. La jeune Julia Garner, découverte dans Martha Marcy May Marlene et We Are What We Are, parvient à jouer et exprimer énormément de choses avec très peu de dialogues. On entend régulièrement des murmures derrière la porte dans The Assistant, on distingue des engueulades lointaines au téléphones – on entend parfois une conversation mais celle-ci peut être dans une langue étrangère. Jane, qui est à la fois assistante et domestique, subit une pression terrible, et n’est pas dupe de ce qui se trame. « What can we do ? », lui demande un supérieur veule qui est censé lui venir en aide.

Dans son captivant documentaire Casting JonBenet, qui évoquait la fascination que génère encore aujourd’hui la mort sordide d’une mini-Miss des années 90, Kitty Green parlait déjà de l’exploitation féminine. The Assistant poursuit ce geste avec une grande intelligence, où l’épure et la retenue (unité de lieu, de temps, économie dramatique) sont au service de ce sujet brûlant.

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par Nicolas Bardot

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