Une journée type dans la vie du torero Roca Rey, du moment où il revêt sa tenue jusqu’à ce qu’il l’enlève.
Tardes de soledad
Espagne, 2024
De Albert Serra
Durée : 2h05
Sortie : prochainement
Note :
LA RONDE TRISTE
Depuis son premier long métrage (Honor de Cavalleria, réalisé en 2007), qui s’attachait à la figure de Don Quichotte, le cinéma fantasque et exigeant d’Albert Serra (lire notre entretien) a beaucoup voyagé. Passant de Versailles à Tahiti, le cinéaste n’est que peu revenu filmer les paysages et personnages de son Espagne natale. Si Tardes de soledad est un voyage retour, il prend pour direction l’un des symboles les plus extrêmes de la culture ibérique : la corrida. Image folklorique immensément partagée dont la pratique violente et la pérennité étonnent et font débat, la corrida est un paradoxe en soi. Un joyau de la couronne et un caillou dans la chaussure à la fois. On retrouve cette formule en fil rouge dans ce film dont l’immersion plastique évacue et dépasse très rapidement la question du pour ou du contre.
Tardes de soledad n’est pas de ces documentaires qui expliquent ou contextualisent. C’est au contraire une observation faite de si près que le mystère de son sujet s’épaissit autant que sa beauté. Sans commentaires ou intervenants, Albert Serra capte avec une illusion de temps réel le déroulé d’une corrida à travers ses affrontements successifs avec des taureaux, où l’apparat des rituels n’empêche jamais une étrange tension qui transparait même et surtout dans les scènes de pauses en coulisses ou en voiture. Le toréro que l’on suit ici est l’un des plus célèbres au monde, le Péruvien Andrés Roca Rey, mais il pourrait tout aussi bien être anonyme tant Serra fait fi de donner la moindre information à son sujet.
Tardes de soledad est le premier film documentaire d’Albert Serra mais la différence avec ses films précédents s’avère en réalité être très minime. Thématiquement d’abord. En mettant en avant la vanité grotesque de la quadrille du protagoniste, c’est à dire des accompagnateurs endimanchés et pétris de sérieux dont le seul but semble être de masturber l’ego du torero à force d’éloge viril disproportionné, le cinéaste catalan poursuit son catalogue d’hommes héroïques et insulaires paniquant de voir le pouvoir leur glisser entre les mains (Pacifiction, La Mort de Louis XIV, L’Histoire de ma mort). La fascination et la répulsion que Serra éprouve simultanément pour les figures de pouvoir s’exprime ici par la permanence du sang sur les parures moirées faites de précieuses dentelles et délicats sequins. Un avertissement d’ailleurs : sans s’y complaire, le film n’élude ni la brutalité humaine ni la douleur animale.
La continuité avec l’œuvre de Serra se joue aussi bien entendu sur la mise en scène. Dans cette arène comme dans ses autres films, le temps et l’espace semblent se dilater devant la caméra en pleine exploration, créant un puissant effet d’hypnose. En se focalisant sur la répétition des gestes filmés avec concentration, à l’abri du monde réel (parti pris saisissant : aucun spectateur ou presque n’apparait à l’écran), et en optant pour une structure tout en cycles, Tardes de soledad met en avant la vanité absurde de cet affrontement ultra codifié à la fois pathétique et flamboyant entre l’Homme et la Nature. Le résultat est un nouveau geste esthétique stupéfiant de la part d’un cinéaste qui disait pourtant ne jamais vouloir réaliser de documentaire.
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par Gregory Coutaut