Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.
Tár
Eats-Unis, 2022
De Todd Field
Durée : 2h38
Sortie : 25/01/23
Note :
FLAGRANT GÉNIE
Tár débute par le générique… de fin. Baigné par un chant mystérieux, la liste de noms habituellement relégués à la postface prend ici le tout premier rang. Le reste du long métrage demeure narré dans l’ordre chronologique, mais avec cette décision singulière, le cinéaste Todd Field plante la graine d’une remise en question des hiérarchies. Si Tár ne manque pas de morceaux de bravoure, on peut souligner que l’un de ses plus puissants points d’orgue se situe non pas dans son dénouement mais justement dans une séquence placée en quasi-ouverture.
On y découvre la cheffe d’orchestre Lydia Tár, alors au sommet d’une carrière qui lui vaut tous les honneurs, lors d’une conférence où le modérateur ne tarit pas d’éloges sur elle. Si cette scène possède déjà un certain germe de tension (est-ce la récurrence des références culturelles si pointues qu’elles excluent délibérément quiconque n’est pas un expert en musique classique ?), ce qui s’y joue devant nos yeux ébahis est une sorte de double mic drop, puisqu’elle nous offre à la fois et sans attendre l’exceptionnel talent du personnage et de l’actrice. En quelques minutes à peine, la performance de Cate Blanchett trône en effet déjà parmi les cimes d’une carrière qui n’en manque pas.
Face au coup de foudre de cette double brillance, on pourrait craindre qu’il ne reste plus beaucoup de place pour le cinéaste, mais la mise en scène de Field (qui n’avait rien réalisé depuis Little Children il y a seize ans) en dit plus long qu’il n’y parait. Ses cadrages transforment des décors luxueux (opéra, palace, appartement de rêve) en laboratoires froids et laissent un vide étonnant autour de Lydia, comme s’il fallait n’approcher cette dernière qu’à pas de loups. Les séquences sont d’abord longues et Lydia a le temps de s’imposer, de faire la démonstration de son propre génie, alternant entre masquer et exhiber sa fière dureté. Ce n’est pourtant pas elle qui vient nous sauter soudain à la gorge mais presque l’inverse, à mesure que les scènes se racourcissent tel un compte à rebours. Il faut d’ailleurs applaudire le montage qui fait passer les 2h38 de l’ensemble en un éclair.
Entre sa compagne (Nina Hoss), son assistante (Noémie Merlant) et la nouvelle venue dans l’orchestre (la débutante Sophie Kauer), Lydia est pourtant entourée d’autres personnes d’exception. Tár est d’ailleurs un film dont tous les personnages sont des femmes brillantes jouées par d’excellentes actrices, déjà une qualité en or. Mais dans la vie d’une maestra, il n’y a pas de place pour la médiocrité. Celles et ceux qui méritent d’être relégués dans l’ombre, dans les mauvais souvenirs ou dans le dossier des spams ne sont que des « pas comme nous » comme le dit Lydia, voire même comme « des robots milléniaux » comme elle finit par le cracher en perdant patience.
Le véritable sujet de Tár ne se dévoile pas d’emblée. Si le récit épouse les archétypes classiques de l’ascension et de la chute, le résultat cinglant ne donne jamais l’impression de mettre de la flotte hollywoodienne dans son vin corsé. A la question contemporaine « que faire des génies problématiques, à qui on excuse même le pire sous couvert de talent ? « , Todd Field répond avec un scénario particulièrement intelligent où aucune des nuances apportées ne vient mettre de guillemet ou freiner la machine infernale ici à l’œuvre et dont le mouvement final tombe comme un couperet. Devant une telle démonstration, on peut effectivement parler de maestria.
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par Gregory Coutaut