Festival Black Movie | Critique : Stone Turtle

Zahara, une réfugiée apatride, vit de la vente d’œufs de tortue sur une petite île isolée de Malaisie. Un jour, Samad, qui se prétend chercheur dans une université, se rend sur l’île et veut employer Zahara pour la lui faire visiter. Au fil de la journée, Zahara et Samad se laissent entraîner dans un dangereux pas de deux fait de duplicité et de duperie.

Stone Turtle
Malaisie, 2022
De Ming Jin Woo

Durée : 1h30

Sortie : –

Note :

LOVE ISLAND

On avait un peu perdu la trace du cinéaste malaisien Ming Jin Woo depuis ses débuts il y a une quinzaine d’années, lorsque ses premiers films enchainaient les présentations dans des grands Festivals européens (Berlinale en 2006, Mostra en 2007 et Quinzaine des réalisateurs en 2010 avec The Tiger Factory). Il est presque ironique de le retrouver aujourd’hui avec ce Stone Turtle, présenté en compétition à Locarno, car le film se déroule intégralement sur une île mystérieuse sortie de nulle part où les protagonistes se croyant en terrain familier perdent justement leurs repères identitaires et temporels.

La première chose qui frappe dans Stone Turtle, c’est peut-être le regard intense, agrandi par la terreur, de l’actrice Asmara Abigail (déjà croisée dans Yuni de l’indonésienne Kamila Andini). Dans ce cadre tropical à la torpeur accueillante, son charisme nerveux est une source de tension inattendue, et ce n’est pas la seule. Stone Turtle a beau être baigné de couleurs vives et chaudes, sa musique est celle d’un film noir (même s’il n’a pas toujours le rythme adéquat). Lorsqu’un scientifique débarque sur une île qu’il pensait déserte, il rencontre donc Zahara, sans-papiers qui vit clandestinement dans la forêt, et qui semble être sous le joug d’une malédiction. Or, le mystère du film est tel qu’on pressent rapidement qu’elle pourrait être bien plus que cela : un fantôme, une déesse, un ange de la vengeance, et cette île est moins une cachette paradisiaque pour amoureux qu’un purgatoire infernal.

Ce mystère nait d’une part de la mise en scène, comme cette lumière aveuglante de western qui donne l’impression qu’il n’y a nulle part où se cacher d’une étrange menace. Elle provient aussi beaucoup de l’écriture, généreuse en surprises. La perte de repères des personnages ne se traduit pas uniquement par des retours en arrière et des impressions de voyages dans le temps. Stone Turtle semble changer de registres plusieurs fois en cours de route, allant de la romance contrariée au film social en passant par le polar, tout en utilisant des références à la mythologie locale (les meilleures scènes du film, puissamment évocatrices), et en intercalant même des segments d’animation. Cette mosaïque n’évite pas toujours les répétitions ou les virages brusques, mais compose un ensemble éloquent, visuellement remarquable.

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par Gregory Coutaut

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