LA TERRE DE LA FOLIE

Une adolescente veut se faire refaire les seins, une jeune veuve oublie sa solitude grâce à une secte, une milice veille avec zèle à la sécurité de la région… Sophia Antipolis raconte plusieurs histoires reliées à une même personne : Sophia, jeune fille disparue dans de mystérieuses conditions. Ces différents récits sont également ancrés dans un seul et même lieu, lui-même insaisissable : Sophia Antipolis. Zone industrielle uniquement habitée par des businessmen de passage, l’endroit ressemble à la nuit tombée à une sorte de non-ville artificielle et désertique. Un lieu sans histoire, sans identité.

Les précédents films de Virgil Vernier avaient déjà pour titre les noms des lieux où ils se déroulaient. Des lieux à priori d’un réalisme terne (les bars à hôtesses d’Orléans ou les tours banlieusardes de Mercuriales), mais paradoxalement propices à tous les fantasmes – que ceux-ci soient merveilleux ou menaçants. A Sophia Antipolis, les journées d’été se suivent dans un ennui terre-à-terre. Des jeunes filles traînent par deux dans des paysages vides – une image récurrente chez Vernier – mais entre les bureaux vides et les boutiques de luxe fermées, entre les Flunch et les hôtels Ibis, quelque chose d’étrange se trame.

Ce qui importe, nous explique-t-on, ce n’est pas le spectacle, mais toutes les choses invisibles qui nous échappent. La nuit, à l’abri des regards, les jeunes flics font du zèle et poussent leur désir de sécurité à l’extrême. Cachée dans le salon d’une villa sans intérêt se trouve une « épée de vengeance pourpre ». Derrière les fenêtres de salles de conférence anonyme, on annonce discrètement la fin du monde. Sur les cendres de l’ancien monde vont se bâtir des fondations d’une ère nouvelle, proclame un personnage l’air de rien. Et lorsqu’une jeune fille disparaît, comment l’interpréter ? Simple fugue, fait divers sordide pour journaux de 20h, ou bien événement surnaturel?

Comme souvent chez Vernier, l’image a ici un grain très particulier. Celui de vieux films de vacances ou bien de reportages télés locaux. Une image ancrée dans un passé intime, presque comme un rêve ou un souvenir. Une fois de plus, il implante son film dans un réalisme languissant pour lui faire faire un saisissant grand écart vers la folie. Un grand écart entre le physique et le spirituel, le trivial et le mythique, entre les séances d’esthéticiennes et les enlèvements extraterrestres. Un tour de magie qu’on serait bien en peine d’expliquer, et qui donne à ce nouveau film son ton unique et imprévisible.

Le temps d’une impressionnante césure (sans doute la meilleure scène du film), un soleil se couche à l’envers tandis qu’une voix off liste des catastrophes réelles ou imaginaires. Les prophéties les plus terribles y sont annoncées en même temps, et avec le même sérieux, que les crises contemporaines les plus concrètes : repli sur soi, crise des migrants, réchauffement climatique. D’un lieu sans passé, Sophia Antipolis devient un lieu sans avenir, sans échappatoire. La fin du monde est annoncée, aussi inéluctables que le soleil qui « se lève à l’ouest ».

>>> Sophia Antipolis est visible en vod sur la page de Shellac

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