Festival Biarritz Amérique Latine | Critique : Cantos de represión

Au pied des Andes, au Chili, se trouve une colonie allemande idyllique appelée Villa Baviera. Cependant, la beauté de l’endroit – anciennement connu sous le nom Colonia Dignidad – cache un passé sombre. La violence envers les enfants, les expériences médicales, les chambres de torture et les fosses communes font partie de son histoire. Aujourd’hui, 120 habitants vivent encore dans la colonie, où un mélange inquiétant de fanatisme religieux et de conservatisme extrême a encore une influence.

Cantos de represión
Chili/Danemark, 2020
De Estephan Wagner & Marianne Hougen-Moraga

Durée : 1h30

Sortie : 03/11/2021

Note :

LE VILLAGE DES DAMNÉS

Parmi les verts pâturages chiliens aux pieds de la Cordillère des Andes se trouve un petit coin de paradis : Villa Baviera, un mini-village monté de toute pièce dans les années 60 par des citoyens allemands ayant fui leur pays. Une communauté coupée du monde et entièrement régie par des idéaux religieux. Une utopie qui a pris fin dans les années 80 suite à certains « événements » secrets ayant provoqué le départ de son fondateur Paul Schäfer. La moitié des habitants a alors quitté les lieux, tandis que l’autre est restée pour oublier et reconstruire. Ces derniers résidents, désormais très âgés, vivent aujourd’hui encore sur place avec leur famille et leurs descendants.

Que s’est-il passé à la Villa Baviera, ou plutôt à la Colonie Dignité, comme elle s’appelait à l’époque ? Les cinéastes Marianne Hougen-Moraga et Estephan Wagner sont restés 18 mois sur place pour élucider le mystère. Or, dans un premier temps, le documentaire (produit par Joshua Oppenheimer) fait le curieux choix…de ne pas répondre et semble se contenter de croire les résidents qui préfèrent tourner autour du pot, soulagés d’avoir pu tourner une page douloureuse. Le proverbe « Le silence est une force », gravé en lettres d’or sur une porte du village, a des airs de menace ou de dogme inviolable. Mais derrière les sourires crispés et les souvenirs trop lisses pour être honnêtes, derrière toute cette panoplie du refoulé, ce sont les corps qui disent beaucoup : les personnes interviewées ont la bougeotte, se dandinent nerveusement et enchainent le pas de cotés involontaires comme s’ils désiraient plus que tout sortir du cadre. Quelque chose de violent sommeille.

Cantos de represión dévoile progressivement l’horrible vérité, dans des chapitres où chaque révélation est plus stupéfiante que la précédente. Inutile pour les cinéastes de préciser que Schäfer était en réalité un ex-caporal nazi : le spectre du troisième Reich plane partout sur ces révélations de violence sexuelle et physique institutionnalisée, de tortures scientifiques et même de collaborations avec le régime de Pinochet. Pourtant, Cantos de represión n’est pas tant une enquête sur le passé de Villa Baviera qu’un portrait sur son présent, et pose les questions suivantes : collectivement et personnellement, comment gère-t-on l’héritage d’une violence aussi folle ? Une fois l’horrible vérité sortie au grand jour, qu’est-ce qu’on en fait ? Que fait-on de la violence dont on a été victime, témoin, ou auteur ?

Si Cantos de represión est passionnant, ce n’est pas seulement parce qu’il enchaine les séquences hallucinantes (des ex-bourreaux et des ex-victimes qui cohabitent l’air de rien, une vieille dame alitée qui récite gaiement des chants nazis, etc.), c’est qu’il montre que répondre à ces questions est un impossible labyrinthe. Chacun ici réagit à sa manière, avec plus ou moins de déni, mais tous perpétuent une forme de violence. Ces vieux et leurs héritiers sont pathétiques dans leur manière de s’arranger avec la vérité, dans leur manière de se définir comme victimes pour éviter de faire face à leur propre culpabilité. Ils sont pathétiques, mais aussi terrifiants. Alors que les révélations vont de plus en plus loin dans la terreur, le doc vire d’ailleurs presque au film d’horreur paranoïaque façon found footage au point où on se demande si les deux cinéastes vont bel et bien pouvoir quitter les lieux sains et saufs. Le mal est ici dépeint dans sa banalité la plus grotesque, ce qui ne le rend pas moins dangereux.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article