Critique : Professeur Yamamoto part à la retraite

Pionnier de la psychiatrie au Japon, le professeur Yamamoto s’apprête à prendre sa retraite à l’âge de 82 ans. A l’approche du départ, il sent ses patients de plus en plus déboussolés, alors qu’il ne sait pas lui-même comment affronter ce bouleversement.

Professeur Yamamoto part à la retraite
Japon, 2020
De Kazuhiro Soda

Durée : 2h08

Sortie : 04/01/2023

Note :

AUX PETITS SOINS

Il y a 11 ans, le Japonais Kazuhiro Soda (lire notre entretien) était déjà sélectionné au Forum de la Berlinale avec son documentaire intitulé Seishin. Ce film racontait le quotidien du Dr Yamamoto, un psychiatre déjà âgé s’occupant de multiples patients. Soda le retrouve pour Seishin 0 (titré Professeur Yamamoto part à la retraite pour sa sortie française) qui ne nécessite pas d’avoir vu le premier volet. Il filme cette fois le crépuscule de la carrière de Yamamoto qui, à 82 ans, va enfin prendre sa retraite.

La méthode d’observation de Kazuhiro Soda, dont il avait dévoilé les règles lors de notre précédent entretien, ne change pas, son talent pour saisir les détails et pour aller là où l’on ne l’attendait pas ne change pas non plus. Professeur Yamamoto décrit l’intime relation nouée entre Yamamoto et ses patients. Les images du précédent film le confirment : ces gens se côtoient depuis des années. Certains sont dans une situation de total dénuement, un besoin terrible persiste chez les patients, Yamamoto semble aller bien au-delà des tâches qui incombent à un psy – et ces choses-là vont s’arrêter.

Comme dans Inland Sea, Professeur Yamamoto dépeint une flamme qui est encore là mais qui un jour va s’éteindre. Il y a là une urgence, parfois dramatique, parfois émouvante. On demande à Yamamoto de continuer à travailler alors qu’il est né dans les années 30. L’homme est pourtant encore souverain dans sa chaise de bureau, une citation accrochée au mur (entre une horloge Hello Kitty et un calendrier Minnie) indiquant que c’est peut-être sa seule « manière d’être utile ».

Puis, un décrochage : lors d’une très longue séquence, Soda est convié chez les Yamamoto pour un dîner. Mme Yamamoto est là, le sourire aux lèvres. Le couple s’installe autour de la table, allume la télé qui diffuse des rencontres de sumos ou des nouvelles de Naomi Osaka. Le film change t-il de sujet ? Pas vraiment, car Professeur Yamamoto, en suivant cet indispensable psy bientôt à la retraite, observe aussi la frontière floue qu’il a établie entre sa vie privée et sa vie professionnelle.

Du portrait social (avec sa galerie des patients et marginaux en souffrance, le lien que constitue le médecin, le fait que celui-ci parte à la retraite à un âge absurde), Professeur Yamamoto se resserre sur un portrait intime. On vante le professionnalisme de Yamamoto, cela contraste avec le désordre qui règne à la maison. Chaque geste du quotidien demande un effort titanesque. Pendant ce temps, Yoshiko Yamamoto est là, montre des photos d’un passé lointain, entend un chien invisible dehors. Ce qui à première vue paraît plutôt drôle et lunaire est aussi pathétique et poignant.

On comprend assez vite que Yoshiko est elle-même souffrante. Lors d’une longue discussion, on parle d’elle et de ses très nombreux mérites, mais la femme âgée, lourdement atteinte, est comme absente, même quand on lui tient les mains avec attention. On remue encore les souvenirs, et son mari peut rire de choses… finalement assez terribles. Les images du premier volet nous montrent Yoshiko dix ans plus tôt, c’est la même personne et une autre femme en même temps. Honnête et vivant, Professeur Yamamoto n’a pas le temps pour le pathos. Il compose un portrait complexe qui ne se limite pas au confortable pittoresque. Son exploration humaine est profonde, absolument bouleversante, comme dans ce dernier segment où le docteur se démène jusqu’à être à bout de souffle, sans oublier de veiller sur celle, fragile, qui partage sa vie.

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par Nicolas Bardot

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