Critique : Saint Omer

Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.

Saint Omer
France, 2022
De Alice Diop

Durée : 2h02

Sortie : 23/11/2022

Note :

L’AFFAIRE COLLECTIVE

Après une décennie de travaux documentaires remarqués (dont Nous, primé à la Berlinale en 2021), Saint Omer marque la première incursion de la cinéaste Alice Diop dans la fiction. Il est tentant d’esquisser un parallèle avec la posture de la protagoniste de ce nouveau film : si Rama vient assister au procès de Laurence, ce n’est en effet pas en tant que journaliste mais comme romancière. Par ailleurs professeure, elle enseigne à ses élèves à « sublimer le réel ». Ni sa démarche ni celle d’Alice Diop ne sont celles d’un simple discours : Saint Omer a beau avoir l’air particulièrement factuel, on est bel et bien dans le domaine de l’art narratif.

Le film se déroule dans sa très grande majorité dans la salle du tribunal où Laurence est jugée pour avoir tué son bébé. La quasi intégralité des personnages du récit sont liés au processus judiciaire en cours et pourtant Saint Omer ne ressemble pas à un film de procès classique. Si l’ensemble possède beaucoup de tension, le suspens ne porte pas exactement sur la résolution du fait divers. La caméra se concentre au moins autant sur Rama que sur Laurence, et l’on sent rapidement que les enjeux sont ailleurs. Saint Omer est un film où l’on parle beaucoup mais où le plus fort n’est jamais ce qui est dit mais ce qui est retenu entre les lignes, et Alice Diop n’a pas son pareil pour mettre en scène ces non-dits qui résonnent entre les personnages.

Ses documentaires l’avaient déjà montré, Alice Diop saint parfaitement bien mettre en scène la parole et sa mise en scène particulièrement moderne possède sa radicalité propre. Saint Omer met en scène une double action : la prise de parole et l’écoute. Les deux sont ici montrées comme des entreprises à haut risque (celui d’être incompris.e ou au contraire percé.e à jour), mais aussi comme des manœuvres galvanisantes dont on peut sortir grandi.e, intimement comme collectivement. Ainsi, lorsqu’un personnage s’exprime, la caméra se concentre moins sur ce dernier que sur ceux qui écoutent. Une manière élégante de sous-entendre que les enjeux soulevés par le procès ne sont pas qu’un événement intime, c’est l’affaire de tous, nous y compris car notre regard (ou plutôt notre écoute) est ici très concrètement invité. C’est parfois comme si les personnages s’adressaient directement à nous spectateurs comme par magie plutôt qu’aux jurés ou aux magistrats..

« Je ne suis pas sûre d’être vraiment responsable dans cette affaire » explique calmement l’accusée. Ce qu’Alice Diop déplie tel un origami au-delà de la figure de Laurence, c’est un ensemble de réflexions sur le racisme, la violence de classe, la maternité, la folie intime et collective, la place des femmes et particulièrement des femmes noires dans la société. Ce tissage est si subtil que lorsque le film se termine, on se retrouve submergé d’une émotion qu’on n’avait pas vue venir. Du scénario coécrit par l’autrice Marie Ndiaye, de l’interprétation brillante de l’ensemble du casting (on est heureux de revoir Guslagie Malanga, huit ans après Mon amie Victoria) à la mise en scène faussement simple et vraiment contemporaine d’Alice Diop : Saint Omer est une réussite collective qui parvient à, selon la formule d’un des personnages, « par la pensée, éclairer le monde ». Bouleversant, le résultat est sans équivoque l’un des tous meilleurs films de l’année.

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par Gregory Coutaut

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