La Roche-sur-Yon 2019 | Critique : Reconstructing Utøya

Les jeunes Jenny, Mohammed, Rakel et Torje, tous survivants des attentats d’Utøya, reconstruisent leurs souvenirs dans un studio avec douze participants afin de partager leurs expériences et de se souvenir, tout en posant la question de la représentation de la violence.

Reconstructing Utøya
Suède, 2018
De Carl Javér

Durée : 1h33

Sortie : –

Note :

RECONSTRUCTION

On a pu découvrir l’an passé le tétanisant Utoya, 22 juillet de Erik Poppe, fiction très documentée qui mettait en scène la tragédie survenue à Utoya en 2011 où 69 jeunes gens ont perdu la vie. Reconstructing Utoya prend le relai sous la forme cette fois d’un documentaire. Mais il ne s’agit pas d’un documentaire conventionnel : le Suédois Carl Javér a convié dans le même hangar quatre survivants du massacre et des jeunes qui vont être amenés à recréer ce qui s’est déroulé pendant le drame. Le but est-il de mettre des mots sur un traumatisme dont il est impossible de parler ? De prendre la distance de la fiction pour réfléchir à un événement traumatisant ? De faire, comme le suggère une participante, une gymnastique mentale qui, telle une gymnastique physique, épuise mais finalement rend plus fort ?

Comme une visite chez un psy, Reconstructing Utoya ne livre pas de contrat sur la possible dimension thérapeutique de son projet (même si, après le tournage, certains survivants se sont exprimés sur ses bienfaits). Reconstructing Utoya, tout d’abord, transmet : des survivants qui ont aujourd’hui grandi aux jeunes gens qui avaient leur âge, du film à ses spectateurs en désignant Anders Breivik pour ce qu’il est : c’est-à-dire un terroriste d’extrême droite – cela semble évident, mais c’est une appellation avec laquelle on prend parfois des gants lorsque le sujet est Blanc.

Carl Javér se penche sur ce qui est tatoué (littéralement ou non) dans la peau des participants. Chacune des quatre victimes fera revivre Utoya à sa façon. Quel bruit choisir pour les détonations ? Que changerait-on si on en avait le pouvoir ? Le film explore le pouvoir de la fiction lorsque, lors d’un plan puissant, une survivante s’approche de jeunes gens rejouant les victimes. Lorsqu’une autre suit au sol les marques qui figurent les pas de l’assassin. Lorsque l’on fait revivre les voix. Lorsque les dimension spatiales et temporelles se brouillent : qu’on entend hors champ des rires au moment où un survivant parle de son souvenir – et des rires qui résonnaient dans le camp.

Javér, avec une certaine délicatesse, évite le spectacle complaisant – mais il ne prend pas non plus de gants hypocrites comme on pourrait les enfiler en France. On se questionne ici sur ce qui est inconcevable, comme se préparer à mourir quand on n’a que 14 ans. On constate la dimension politique de l’engagement de si jeunes personnes, et les risques pris. On observe, attentifs, les bienfaits de la prise de parole dans un laboratoire dont on ignore pourtant les formules. Par « reconstructing », on peut entendre reconstitution, mais aussi littéralement reconstruction. Jusqu’à réparer ce qui n’a pu avoir lieu, comme une fête entre ces jeunes gens qui n’a évidemment jamais pu exister. Le résultat est aussi fort qu’émouvant.

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par Nicolas Bardot

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