Festival de Karlovy Vary | Critique : Pure Unknown

L’enterrement est un rite fondamental qui sépare la vie de la mort. Mais qu’advient-il des cadavres de migrant·e·s noyé·e·s en mer, ces « parfait·e·s inconnu·e·s », privé·e·s de la possibilité d’une vie meilleure ? Personne ne semble désormais se soucier de leur droit à mourir dans la dignité – sauf Dre Cristina Cattaneo, qui se bat pour leur cause avec courage et détermination.

Pure Unknown
Italie, 2023
De Valentina Cicogna & Mattia Colombo

Durée : 1h33

Sortie : –

Note :

MON NOM EST PERSONNE

Sconosciuti puri (Pure Unknown pour le titre international de ce long métrage) est une expression utilisée pour désigner les corps échoués et inconnus de migrant.e.s qui ont tenté de traverser la Méditerranée, dans l’espoir de rejoindre l’Europe. Le film du duo italien composé de Valentina Cicogna et Mattia Colombo, présenté en compétition au Festival Visions du Réel, suit le quotidien de Cristina Cattaneo, une médecin légiste qui, inlassablement, s’occupe de retrouver l’identité de ces disparu.e.s anonymes.

C’est parfois une question froidement factuelle : quelle est le sexe de la personne, quelle est sa tranche d’âge. Des fichiers sont remplis sur des ordinateurs, un curseur clignote avant qu’on ne remplisse des cases. Mais très vite la froideur se fissure et les individus se dessinent : lorsqu’on retrouve des objets banals – des ceintures, un bijou, des lunettes – mais aussi des promesses – un ticket de tombola, un billet de dix euros déchiré, le plan d’une destination non-atteinte. Des détails, de simples choses dans les poches, et tout cela est bouleversant, comme le sont les photos d’identité retrouvées, où les visages sont déjà peu à peu effacés – il reste parfois un regard ou un sourire figés dans le temps.

En 2019, un bateau dans lequel ont péri un millier de personnes a été exposé à la Biennale d’Art Contemporain de Venise. C’était une invitation « au silence et à la réflexion », comme l’a présenté à l’époque le président de la Biennale Paolo Baratta. Cette installation a naturellement suscité des réactions et Pure Unknown, de manière plus large, décrit le combat de Cristina Cattaneo comme quelque chose qui ne va pas de soi. Il y a les micros-trottoirs racistes dont la laideur est encore davantage soulignée par ce contexte tragique. Mais il y a aussi le mur officiel auquel Cattaneo se heurte, car le travail d’identification a un coût.

Qu’est-ce qui définit la dignité humaine ? Quels sont les droits des morts ? Qui en a la responsabilité, et quid de leurs familles endeuillées ? Les passionnantes problématiques posées par Pure Unknown ont aussi une dimension universelle. Le soin et le respect auxquels ont droit des restes humains appartenant, eux, à l’Histoire, sont des notions sur lesquelles tout le monde s’accorde. Le caractère essentiel du travail de Cattaneo est également mis en lumière lorsque le corps d’une femme albanaise disparue depuis bientôt 30 ans est enfin identifié, mettant fin à la fiction construite depuis par la famille ou les médias. 30 ans plus tard, l’émotion reste vive. Réalisé avec une épure bienvenue, Pure Unknown est un documentaire d’une grande force qui se penche sur une responsabilité commune et sur ce qui, à l’heure de la déshumanisation raciste, nous constitue.

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par Nicolas Bardot

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