Les Arcs Film Festival | Critique : Punta Sacra

En bordure de Rome, à l’embouchure du Tibre, le petit quartier d’Idroscalo di Ostia, avance librement dans la mer. Ses habitantes, telles que Franca et ses filles, en portent les histoires, avec la force naturelle des lieux, entre réalisme sauvage et imaginaire populaire. Cette pointe sacrée devient le théâtre de la résistance d’une communauté qui exprime son droit à vivre sur ses terres.

Punta Sacra
Italie, 2020
De Francesca Mazzoleni

Durée : 1h36

Sortie : –

Note :

POINTE DU CRÉPUSCULE

Couronné ce printemps au festival documentaire Vision du Réel et présenté cette semaine au Festival du Cinéma Italien d’Annecy (que vous pouvez suivre en ligne), Punta Sacra se déroule sur une pointe à l’embouchure du Tibre, là où le fleuve se jette dans la mer. Des gens vivent là depuis des décennies, dans un lieu qui est à deux doigts de disparaître. Une bonne partie des maisons ont été détruites et il reste quelques habitations qui semblent péniblement tenir debout.

L’Italienne Francesca Mazzoleni décrit cet endroit et son histoire. Elle dépeint avec force ce décor où l’on sent la présence puissante et immédiate de l’eau. Les nuages eux sont lourds et ont l’air de peser sur la terre. Ils sont souvent gris, un arc-en-ciel en tombe parfois. Mazzoleni filme régulièrement l’action entre le soir et le petit matin, avec un ciel à la fois sombre et rose, dans un entre-deux onirique assez captivant. On ne sait jamais trop si les lieux vont être avalés par la nuit ou par l’eau avant d’être détruits par les pelleteuses.

Derrière ce portrait géographique, il y a bien sûr un portrait humain et plus précisément le portrait d’une classe sociale. Les protagonistes de Punta Sacra sont des populations modestes, traitées de « chiffonniers sales et méchants ». Les personnages du film, les femmes surtout, apparaissent comme des forces de la nature. Elles s’engueulent et s’envoient des scuds : « elle a deux défauts : elle est communiste et elle est fan de l’AS Roma. Elle aime même Pasolini ! » envoie l’une, « vous êtes deux fascistes de merde » répond l’autre. Après les mots doux, on se questionne effectivement sur les valeurs politiques qui peuvent être défendues… mais par qui ? On liste péniblement les partis qui semblent ne plus exister tandis que les habitant.e.s de cette pointe paraissent bien seul.e.s dans un no man’s land.

Une large place est réservée à la jeunesse dans Punta Sacra. Une jeune fille, en tout début de film, rêvasse et aimerait assécher le fleuve pour voir ce qu’il y a au fond. Si la vie continue pour leurs aîné.e.s, elle ne fait que débuter pour les plus jeunes. Qui s’essayent à la danse, au reggaeton. Mais dans un tel contexte, quelles lanternes les jeunes filles peuvent-elles bien envoyer au ciel ? Un intervenant confie qu’il n’a « jamais vraiment compris » le déploiement et l’usage de la force pour abattre les maisons et déloger les habitants. Comme si un bulldozer géant obstruait l’horizon de ce coin plongé dans une éternelle pénombre. Quelques flammes y vacillent encore – suffisamment vivantes pour qu’on se passe d’une musique qui tire de temps à autres le film vers le cliché ou le pittoresque. « Les actions montrent ce qu’on est, les mots montrent ce qu’on croit qu’on est » enseigne t-on ici aux plus jeunes, mais Francesca Mazzoleni parvient à saisir les deux avec une même véracité.


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par Nicolas Bardot

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